François Durif | À ciel ouvert

Vidéo Marjolaine Grandjean.

Comment clore ? Clore une cérémonie, clore une résidence. Dire au revoir. Rendre hommage. Au crématorium du Père-Lachaise, clore une cérémonie, ce n’était pas simple, il me fallait nommer ce qui allait se passer sous leurs yeux : Le moment de la séparation est venu, le cercueil de… va être dérobé à votre vue. Dans la salle de la Coupole, je n’ai jamais utilisé la mise en scène du catafalque en haut des marches, avec la voûte étoilée qui s’allume au moment où le cercueil descend au ralenti dans les coulisses. Non. Avec l’aide d’un maître de cérémonie du crématorium, nous le glissions sur le côté, en s’aidant du brancard sur lequel il reposait, nous n’avions qu’à soulever légèrement la jupe en velours gris qui camouflait ce dernier. Au moment du départ, je demandais aux gens de se lever, et, le plus souvent, était diffusée une musique à forte charge émotionnelle.

Clore une résidence d’écrivain, après deux mois de confinement, neuf mois de gestation, ça n’a rien à voir avec ce que je viens de vous décrire brièvement. Le fait est que j’avais anticipé ce moment, puisque dès l’écriture du projet, j’avais décidé de clore cette résidence par un chantier de plâtrier peintre. Retour au réel, fin des vacances. Un « vrai » travail, comme si, pour moi, un vrai travail, c’était un travail manuel, un travail où l’on sue, où l’on se dépense physiquement. C’était aussi une façon de dire merci à l’équipe du Générateur, lieu-partenaire de ladite résidence, en leur proposant de repeindre gratuitement les murs de la salle principale – 25 mètres de long, 6 mètres de hauteur sous plafond.
Avant de me lancer dans cette opération, j’ai réalisé sur place les bannières qui allaient orner la façade pendant la durée du chantier et annonçaient la performance du 26 juin. Les trois premiers jours, j’ai trouvé en la personne de Raphaël le meilleur comparse qui soit. Habituellement, c’est en tant que régisseur qu’il agit au Générateur. Il a accepté de venir me donner un coup de main et j’ai tenu à ce que lui, contrairement à moi, soit rémunéré pour le travail accompli à mes côtés.
Quand Marjolaine est venue nous filmer sur le chantier, nous attaquions la mise en peinture, après deux jours de lessivage des murs. Chacun devant son pan de mur, avec sa manière de faire. Raphaël usant de la perche, il se coltine le haut des murs : il a des gestes bien plus précis et efficaces que moi qui démarre, comme à mon habitude, à quatre pattes, rouleau dans les mains. Je ne peux m’empêcher de repasser dix fois sur ce que je viens de peindre, c’est ce dont je me suis aperçu en découvrant les images enregistrées par Marjolaine. Quoi que je fasse, finalement, je m’y prends comme un manche, il faut que j’en bave, car sinon, je n’ai pas l’impression d’être au travail. C’est fou d’observer les mêmes manies, les mêmes manières de faire qui traduisent autant un manque de confiance en soi qu’une absence de méthode, avec, toujours, la volonté de bien faire qui finit par se retourner contre moi. C’est vrai pour l’écriture, c’est vrai pour tout ce que j’entreprends. Je l’ai éprouvé également durant les années pompes funèbres, à part que, dans ce métier, mon côté consciencieux et tâcheron était très apprécié. Là aussi, je cherchais à m’effacer, à me fondre dans le décor. Je n’avais pas non plus n’importe quelle mission : j’étais celui qui devait faire disparaître les corps.

De l’habit d’ombre du croquemort à l’habit blanc du plâtrier peintre, c’est le trajet que je voulais accomplir durant cette résidence. Finir au pied du mur. Avec le sentiment d’avoir à reprendre tout du début.

27 août 2020
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