13 mars 1942
L’autobus avait déposé Édouard Jung dans un nuage de fioul, face à la nouvelle mairie de Noisy-le-Grand, après être passé sans s’arrêter au café qui s’appelait encore A l’arrivée des Tramways, dans une nostalgie que l’arrivée de la guerre n’avait pas pu éteindre. Un fioul au parfum ironique, pour Jung qui venait ici finalement car on avait manqué de fioul, et de véhicules rapides, pour repousser la percée allemande, deux ans plus tôt. Il se dit qu’il arrivait ici par devoir et dans un mortel sarcasme, n’osant regarder si une affiche, punissant de mort les sabotages, lui indiquerait le pavillon où espionner l’armée nazie. Il marchait vers l’est, mettant ses pas sur le tracé du câble enfoui sous la Grand rue, puis Route de Champs, dans le beau temps, dans l’espoir de trouver un endroit où, comme à Alger, il pourrait enfin s’asseoir et écouter. Simplement, il avait l’impression, une impression de déjà-vu, de marcher droit dans la gueule du loup. Édouard Jung avait été dans l’infanterie, il avait marché dans le désert, fusil en main, il avait veillé par des nuits glacées fouetté par le sable, il avait été passager d’un sous-lieutenant qui calait le volant du camion entre ses genoux, une pierre sur l’accélérateur, pour traverser cent kilomètres de désert de pierre à quarante à l’heure en faisant la sieste, il était maintenant conduit, comme n’importe quel quidam à la recherche d’un emploi, d’un logement, en autobus urbain dans une banlieue boisée et parfumée, pour chercher une cave où écouter les allemands à l’abri. C’est avec des souvenirs de téléphones modifiés qui ne se raccrochent jamais, dans la diaphonie de conversations secrètes de salon, que Jung arriva en vue d’une place éloignée du centre, pas encore la campagne, où se trouvaient plusieurs cafés, avec un magnifique début de printemps tout autour.
La Pointe de Gournay avait des éclats irisés et des cris d’oiseaux. Les étourneaux, pies, corneilles, vanneaux, moineaux, voletaient et piaillaient depuis les arbres encore nus, perlés de bourgeons clairs, jusqu’aux toits des pavillons, à la recherche de miettes, pépins, noyaux, tout ce qu’auraient jeté les humains, et chassant également les pince-oreilles, scolopendres, araignées, et les premières coccinelles, les cétoines brillants, les Citrons et Grande-Tortue ayant échappé au gelées. Le matin avait été froid, presque glacé encore, mais en allant vers midi, on sentait que cette journée, de moins en moins nuageuse, allait briller, chauffer.
Lu le 1er octobre 2022 en public, vidéo ici.