1B. Au début. Patrick Chatelier

au début rien
au début il n’y a rien presque rien je le dis seuls
les contrées forêts plaines cols villages plats creux touffes bétails fratries rien au début seuls qui croupissent sans savoir avoir idée sans soupçonner la vastitude la majesté les horizons miracle variété du monde croupissent et leurs paysans marchands seigneurs de guerre petites cliques petits trafics avec un esclave quand on peut mais esclave de rien bouche à nourrir qui fait bien dans sa maison pacotille esclave bimbeloterie esclave joli ce n’est rien il n’y a rien strictement rien au début par les provinces les contrées qui n’existent n’affleurent n’affermissent dans leur terroir pourriture isolement idiotie et ces ignobles qui n’ont jamais rien vu lapent la terre de leurs ancêtres pourris en creux vallées plaines cols routes seuls bétails fratries pourrissantes et hasard parfois trouvent sur leurs langues des pépites de sel pendant que font pâle figure leurs dieux des flaques ou des fourrés

au début rien il n’y a je le dis
seuls forêts plaines cols villages creux touffes bétails seuls c’est-à-dire désert c’est-à-dire nuit c’est-à-dire vide c’est-à-dire manque c’est-à-dire item item item sans Teneur sans Soleil sans Cæsar manque depuis toujours manque manque depuis le premier crachat des Titans puis ensuite alors là c’est-à-dire que vient-il Cæsar passé sous Cæsar donne Empire les contrées ça bouleverse tout quand forêts plaines cols villages prennent sens épaisseur une plaine un col de tout temps objet du temps secret du temps accomplissement des temps avènement de toutes les natures oui car civilisation car sagesse car connaissance oui car morale car tempérance car culture oui car liberté car égalité car solidarité oui car partage car sécurité car quiétude oui car commerce car diplomatie car prospérité oui le peuple oui le progrès oui la santé oui le droit oui marmailles de la louve câline

et au milieu de rien je le dis la troupe apparaît
dans la brume droit au milieu du gris de poisse le premier jour marche la troupe
c’est le premier jour fatigue un peu mais la superbe repensant au départ revoyant centaines de femmes lâchées dans le camp qui voulaient ne voulaient pas c’est pareil car glaives ont pénétré ça faisait de la chair et cris dans les augures de foutre baigné de terre mère et nous marcherons jusqu’au fond de l’Empire avec ces visions entre les dents jours mois ans de marche avec ce fouet au ventre et d’autres là-bas les femmes qui nous attendent ne savent pas ce qui les attend là-bas pleureuses sur nos ennemis honorées d’être ouvertes par nos soins espèrent-elles là-bas guettant l’horizon de notre approche et sentant le sol trembler sous leur pieds là-bas enfin eux disent-elles en rejetant leurs tresses sur leur nuque
enfin enfin Empire
Empire est nous Empire en moi en nous Empire se pose sur les choses avec nos yeux nomades Empire vous aime vous bâtit Empire protège prend soin car oui Empire est mère providence un caillou qui clôt vos ulcères qui assèche vos bubons les amoureux arrivent nous sommes ses amoureux faisons jaillir Empire où nos pila se dressent et les peuplades acclament et battent les tambourins et devant nous la forêt recule avec ses hantises ses sorciers ses entrelacs stériles et fioritures

la troupe marche c’est le premier jour Climax la forêt recule je le dis
Climax à mon côté Climax
mon ami son visage impénétrable qui change à chaque instant ses yeux qui voient loin plus loin que nous autres Climax n’est pas comme les autres mieux que nous appartient à la terre plus fort que celui qui en fut extrait il est homme d’Empire celui qui vient d’ailleurs autrefois barbare porté par le nom nouveau qu’on lui a donné son nom d’homme effaçant son nom de né et si nous sommes presque tous dans la troupe étrangers absorbés par l’Empire qui trancha d’un pincement de lyre le cordon reliant à nos ancêtres la chaîne brisée des âges nous faisant hommes nouveaux Climax est parmi nous le grand étranger le sublime de par-delà les mers le paroxysme le faîte la conclusion étranger nec plus ultra total à la peau différente au regard différent au sang différent aux membres différents aux organes différents au toucher différent au parler différent aux principes différents au sommeil différent qui pendant les mois de traversée jusqu’ici endura enfant tornades et tempêtes et scorbut et privations et supplices et injures pour enfin apercevoir la terre l’île le refuge et devenir Romain
Climax mon ami je suis
près de toi Climax forêt recule
amoureux je marche à ton épaule je vise à gauche quand tu cherches à droite je scrute le haut quand tu préfères le bas je défends tes angles morts ton plastron ta carotide ton genou tes penchants tes mauvais rêves tes pensées interdites j’emplis l’absence de toi pour ton retour Climax je t’attendais amoureux de mille façons quand chaque pas me rapproche de toi que nous faisons côte à côte

oui Climax je le dis
ton visage que je presse contre ma joue ton visage change comme le nuage comme une part d’atmosphère l’envol des oies cendrées c’est le visage d’éléments d’origines du bout du chemin qui me fait face éternellement

7 juin 2016
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