1D. La chambre des amants. Marc Perrin
Car pour commencer encore ici rien ne commence. Dans la nuit. Nous sommes ce que nous n’avons jamais cessé d’être. Ici. Depuis le commencement sans début ni fin nous sommes. Dans cette nuit nous ne connaissons pas la fatigue. Ici. Nous ouvrons inlassablement nos corps à quelque mouvement infini qu’il est impensable que nous n’ayons pas toujours connu. Nous redécouvrons le plaisir : infiniment. Nous le mettons à nu et faisons avec lui l’expérience de l’inédit. Désorientés, nous faisons l’expérience de la jouissance. Désorientés, nos corps pénètrent une compréhension sans mots. Nos corps : jouent et jouissent à l’abri des yeux du monde. Ils débordent le monde et l’inondent. Ils font une lumière : qui rend visible tous les points du monde. Depuis la chambre, nous débordons la chambre. Nous sommes débordés, dénudés, délivrés par la chambre d’un monde que nous ignorons, et que nous constituons : en même temps. Nous sommes les rires en éclats. Nous sommes les cris et l’abandon. Nous sommes une insouciance majeure et ne sommes dupes en aucun des fracas de ce qui : hors les murs de la chambre : en même temps : nous sommes : hors les murs de la chambre. Nous sommes : un corps insolent dans le monde en son état. Nous sommes un autre fracas. Deux corps couplés. Nous modifions les flux du monde. Nos regards traversent les murs de la chambre. Quand nous pénétrons. Le corps aimé. Nous sommes la multitude. En corps accouplés. Nous voyons le monde en son état. Nous y sommes et ne sommes. Pas dupes. Et pas plus naïfs que la moyenne. Et bien plus vivants qu’un certain nombre. Nos cris : réveillent les cadavres. Nous sommes. Le réveil des cadavres. Nous nous réveillons. Dans la nuit. Lumière. Nous plongeons nos corps. Dans nos corps. Dans l’abandon. C’est dire si nous continuons. Dans la recherche : effrénée. C’est à dire : dans l’amour, oui : nous réalisons : nos corps de recherche. Nous réalisions : nos corps d’amour. Et la lumière ne dure pas. Et nous produisons : de l’inutile. Dans la recherche. Et dans l’amour. D’un inutile : encore plus vaste. Nous ouvrons. Le vivant. Par le réveil des corps. Dans la chambre. Nous faisons trembler les murs. Nous sommes les gueulards, et nous bataillons en toute heure du jour et de la nuit. Nous parcourons : l’inépuisable. Nous nous endormons. Nous nous réveillons et à chaque réveil nous agrandissons l’espace. À chaque étreinte nous ouvrons nos corps au monde. Et nous modifions les espaces. Au-delà des murs de la chambre. Nous rendons le monde : plus vaste que le monde. Nous sommes : la clameur. Nous sommes : la chaleur. Nous sommes le plaisir des corps ouverts au plaisir des corps. Nous sommes les corps ouverts au corps du monde. Nous sommes le corps du monde ouvert. À la possibilité. De sa jouissance.
Nous sommes une fine membrane vibrante séparant le plaisir de l’effroi. Nous sommes une fine membrane au plus lointain de chacun des corps. Nous sommes une fine membrane séparant les corps à l’intérieur des corps. Nous sommes une fine membrane intérieure contre laquelle nous venons frapper. Nous connaissons le plaisir. Nous connaissons le plaisir de la frontière traversée. Nous venons frapper : la connaissance. Nous venons connaître : sa membrane fine, intérieure. Au plus profond des corps. Nous venons connaître le cœur du monde. Nous sommes le plaisir et la connaissance : éclats : dedans-dehors.
Nous traversons les espaces vieux et les inédits avec la même jubilation. Nous faisons le voyage dans la chambre close et nos corps parcourent les espaces dehors. Nous sommes la violence d’un rire pénétrant. Nous cognons. Nous accélérons. Nous sommes un bouleversement violent, répété : depuis l’innocence : et jusqu’à son abandon. Nous sommes tendres : jusqu’à l’abandon. Nous sentons que cela ne peut pas durer. Et nous réalisons la durée. Nous entrons. Nous sortons. Nous débordons. Nous sommes l’incandescence dans ce qui ne va pas durer. Nous entrons. Nous sortons. Nous sommes l’incandescence dans ce qui n’est pas là pour cesser. Nous sommes là.