A la dérobade / dossier Eric Suchère
Quelle est la place d’un mot dans un paysage ? La question semble mal posée car c’est le mot posé qui fait le paysage. C’est sans doute la tension poétique de ces premiers gestes qui anime l’écriture d’Eric Suchère.
Une écriture au détour des mots et des images. Au dé-tour... L’écriture d’Eric Suchère ne joue pas des tours (rien de poseur chez lui, pas de pose poétique). En revanche, elle tourne bien autour des mots. Eric Suchère ne détourne pas le langage ou la syntaxe, il la détoure. Il donne à lire une tension dynamique par un mouvement d’interruption, par des failles ouvertes. Les mots viennent se fixer ou s’évanouir sans jamais rien achever. Il s’agit d’un vacillement, d’un scintillement. Mais ils brillent par une mise en absence, un évanouissement... une disparition (albertine, le motif d’un nom disparu, d’une majuscule interrompue).
Relier et disjoindre avions-nous déjà écrit sur remue.net à propos de Fixe, désole en hiver. Les mots et les phrases sont en effet souvent incisés, coupés et renvoyés à un devenir incertain. Mais ils ne sont jamais abandonnés. L’immobilité est ici un moment de la dynamique. Elle vient seulement dire une instabilité. Ainsi, à la dérobade des mots, la fragmentation dans l’écriture d’Eric Suchère exprime la nécessité d’une absence d’harmonie. Une telle écriture ne s’abstrait pas du monde mais en exprime l’inadéquation.
Le mot qui, se posant, pose la question d’un paysage, interroge la possibilité même de l’écriture.
Prise ainsi en défaut de toute certitude, elle explore dans un écart vital et fragile, une présence complexe faite de traces et d’échos, entre les variations lumineuses d’un nuage.
Ce dossier espère donc restituer cette complexité en laissant une très grande place aux textes. Cependant, outre la sélection de textes tirés des différents livres d’Eric Suchère (les derniers textes étant inédits et à paraître), ce dossier a également voulu tisser des liens avec d’autres facettes de son écriture. Ces liens se traceront par échos et volutes plastiques :
– Une présentation et un lien vers un site qui serait autant la trace d’une expérience plastique que le prolongement fragmentaire de livres à venir (dont Lent, ... un autre mois ... 1997-2002 serait la première trace chimérique).
– Un choix d’extraits de textes critiques d’Eric Suchère sur des peintres contemporains(Marian Breedveld, Rémy Hysbergue, Philippe Cognée et Luc Tuymans). L’écriture critique d’Eric Suchère comme le choix des artistes évoqués viennent enrichir l’approche de son écriture poétique par des effets de convergences... mais toujours à l’oblique et au revers des attentes.
Enfin, pour donner une épaisseur supplémentaire à ce portrait en dérobade, Camille Saint-Jacques et Xavier Person nous ont confié deux textes inédits sur Eric Suchère.
Pour compléter et conclure ce dossier, on trouvera une bibliographie sélective et quelques liens indispensables.
Un grand merci à Eric Suchère pour ce dialogue et ces échanges, pour la confiance accordée et les documents confiés.
Merci beaucoup également à Camille Saint-Jacques et Xavier Person qui ont immédiatement accepté cette proposition estivale d’écriture sur Eric Suchère pour remue.net.
Merci enfin aux artistes qui m’ont généreusement autorisé la reproduction de leurs œuvres : Philippe Cognée, Rémy Hysbergue ainsi que Jean-Charles Vergne du FRAC Auvergne pour les reproductions de Marian Breedveld et de Luc Tuymans.
Sébastien Rongier