Au nom de Sarah, un roman d’Armel Veilhan chez Ex-Aequo

Le droit à la mémoire.

Au nom de Sarah, c’était, après Un enfant dans l’hiver publié en 2006, le désir d’écrire un roman qui poursuivrait, dans l’imaginaire, le dialogue que j’avais eu avec ma mère. Ce roman est né dans la nuit de ce deuil. Le deuil de ma mère. Puis j’ai commencé de rédiger des premières notes en mars 2006. C’était quelques semaines après la parution de l’Enfant dans l’hiver. J’ai commencé d’écrire en Bretagne où la fiction se terminerait en définitive comme je l’apprendrais plus tard de l’écriture même.
Je crois qu’il est difficile de dire pourquoi un livre s’écrit en nous ? Pourquoi l’on choisit le roman comme forme donnée à l’écriture ? Je peux dire peut-être qu’au départ, il y avait cette sensation du manque. D’avoir manqué quelque chose avec ma mère. Dans le dialogue avec elle, je veux dire. De ne pas avoir su écouter davantage son histoire, et celle de ma grand-mère, les deux étant liées. Ma grand-mère n’avait jamais existé que dans les paroles de ma mère. Je sentais que cette femme avait eu un destin particulier. Une histoire commune à beaucoup d’immigrés. Entendre parler d’elle, c’était mettre des mots sur une part de mes origines. C’était reconnaître que j’étais un petit-fils d’immigrée. Que je n’avais plus à me battre pour devenir Français. Qu’une autre s’était battue pour moi auparavant. Écrire sur cette femme, c’était donc revenir aux sources de cette part de moi-même. Dans ma jeunesse, je nourrissais des sentiments contradictoires. Je ne savais pas bien parfois ce que cela voulait dire d’être Français. Cette part conflictuelle était sans visage. Désincarnée. Je ne pouvais me raccrocher à aucun autre souvenir que les paroles de ma mère. Une absence qui resurgissait par les mots. Le pouvoir des mots.

Beauté
Beauté est le premier mot que je dirais si on me demandait de décrire le visage de cette absence. C’est peut-être pourquoi je l’ai appelée Sarah dans le livre. Sarah qui veut dire princesse, reine. Aussi parce qu’elle était juive comme le prénom du livre, et que c’est par elle sans doute que j’ai cherché à remonter le fleuve de mes racines. Car rien, au départ, ne m’avait été vraiment transmis. J’ai souvent eu ce dialogue complice avec les enfants d’immigrés de la seconde ou troisième génération. Nous avions souvent en commun ce sentiment d’avoir reçu une éducation française, d’avoir des papiers en règle si l’on peut dire comme cela. Mais malgré nous, au-delà de nous ce désir de savoir ce qui s’était passé avant nous. Un avant nous qui ne nous avait pas toujours été transmis dans l’éducation, qui ne figurait pas sur la carte d’identité.
Que fallait-il faire de cette mémoire ? Que fallait-il faire de cette peur de sentir, en soi, cette mémoire en train de s’effacer, de disparaître ?

Sur mon visage
En 1993 je suis allé pour la première fois en Algérie. Portant le nom de mon père, rien ne pouvait donc signaler la présence de ma grand-mère dans mon patronyme. Pourtant des Algériens m’ont reconnu. Il y a eu cette reconnaissance entre nous. Je me souviens d’un homme en particulier qui m’a questionné sur l’histoire de ma famille. Comme si je portais une trace de cette histoire avec moi. Sur mon visage. Ou dans ma voix. Lorsque je lui ai dit le nom de famille de ma grand-mère, il m’a dit qu’il le savait avant que je le lui dise. Qu’il avait connu certains d’entre eux. Et il m’a raconté qu’enfant, il se rendait dans le quartier juif de Constantine. Il m’a parlé de ce quartier. Du lait, je me souviens du lait qu’il allait y chercher dans l’épicerie qui portait le même nom que le nôtre. Il en gardait le souvenir. Et cela semblait être un bon souvenir pour lui à l’entendre parler. Cette épicerie est revenue dans l’écriture. Elle serait le lieu de l’enfance de Sarah.

Après ce voyage en Algérie, c’était au début des années 90, j’ai voulu en savoir davantage. Je comblais comme je pouvais les trous du récit. J’écoutais ma mère avec une autre oreille.

Elle prit l’habitude de m’apprendre un mot d’hébreu chaque fois que je la retrouvais. Elle me montrait l’écriture, me faisait entendre la sonorité, me parlait des différentes significations qu’il contenait.

Je sentais qu’elle essayait par tous les moyens de me transmettre quelque chose d’elle. Avec une légèreté étudiée pour dompter ma peur, elle me parlait. L’une de mes deux oreilles était ouverte, l’autre était encore fermée par ma crainte d’être bousculé par ce qu’elle allait m’apprendre. Je profitais d’un silence pour m’engouffrer et submerger notre discussion des préoccupations de mon présent. Je l’ai beaucoup regretté.

Un jour elle m’a emmené à la synagogue. Elle avait sans doute beaucoup réfléchi avant de me le proposer. Elle savait que je ne l’oublierais pas.

Le double exil
Avec le temps, l’absente est devenue présente à tout ce que je traversais dans ma vie. Je ne pouvais m’empêcher de penser à elle. De dessiner ses traits. D’inventer son caractère. De rêver son rêve. J’essayais de m’imaginer quittant le pays de mon enfance, la France, pour aller vivre dans un pays voisin. J’entends par voisin un pays qui a un lien avec mon pays d’origine. Je remontais le temps.

Écrire sur elle, à partir d’elle, c’était empêcher un double exil. Celui du pays natal, et celui de l’effacement de sa vie. Un effacement qui avait concentré tous les efforts de ma famille s’il n’y avait pas eu ma mère pour me rappeler son existence. Et puis l’effacement social contre lequel elle s’était heurtée lorsque Vichy a abrogé le décret Crémieux qui avait accordé la nationalité française aux Juifs d’Algérie, rayant d’un trait de loi, l’assimilation pour laquelle elle s’était tant battue.

J’ai choisi d’écrire l’histoire de Sarah pour concrétiser ce désir inconscient de la faire renaître.

Ce roman est mon histoire avec elle. L’absente.

Au nom de Sarah est publié aux éditions Ex-Aequo


La Rentrée littéraire au Mémorial de la Shoah, dimanche 9 octobre 2016 16h30


Une présentation du livre :

Un extrait du livre :

2 octobre 2016
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