Aude Pivin l À propos de "Comme après" de Marie-Hélène Archambeaud
"Lui c’est un jeune garçon le corps à la renverse retombe sur les pieds : des quilles ont volé"
Comme après est d’abord cette langue qui s’interrompt, saute un gué, s’amuse d’une pierre avec un mot. Des raccourcis fulgurants. Retour en enfance, retour au jeu. Toutes les sensations sont restituées, intactes, je suis à nouveau proche de l’air, la lumière sur la peau, proche de l’eau. On chemine léger, légère, jusqu’à ce que soudain, au détour d’un vers, la gravité se ressente au bout du pied, point de contact plus brutal avec la vie, comme si on avait cogné quelque chose ou réveillé un souvenir qui hante.
"Dans la vallée de Chaudefour, à ce nom mon père m’a dit le cauchemar lui revenait depuis ce temps d’un hôtel abandonné,"
Mort et perte s’avancent peu à peu au fil du texte, mais tenues l’une et l’autre à la lisière des mots :
"Lui, d’une fenêtre, son bras s’est replié sous la tête, au dernier moment. Elle n’a pas voulu de cette vie."
pour être métamorphosées en une image d’homme-oiseau qui se jette d’une falaise et qui vole :
"mais cette combinaison vous permet à flanc de montagne mais dans les airs, de vous jeter à pic à vingt-cinq mètres par seconde c’est la moitié de la chute d’un homme."
Chute et morts ainsi retournées, transmuées dans un poème. Surmonter la perte (de l’enfance ou d’un proche) travaille le texte de part en part et il semble que le poète choisisse de s’enraciner au présent, d’accrocher son regard au lieu, à la forme vivante, ce faisant dessine en creux son propre corps :
"Des veines apparentes, les plis sur l’envers du corps, dessous les coudes, les bras se tachent et les doigts, la paume des mains se plisse, des veines saillent à la chaleur."
Marie-Hélène Archambeaud donne corps à tout, au sien comme au paysage, à la nature. Elle est l’observatrice de la peau de hareng et de la paume de main. Elle fait affleurer la vie, dessine des frontières, plaines et montagnes, qu’elle observe à l’endroit comme à l’envers, puis les efface, s’avance et coupe les fils, nous laissant tantôt face à face avec le monde, tantôt devant elle qui se glisse entre les vers pour se faire la douce interprète, la guide des lieux avec des mots suédois, sa moitié d’origine, lavinen, rullsten, fortisju, tout ici qui parfois se touche, parfois s’éloigne, des lieux d’attirance et de crainte à la fois, tendus vers un horizon jamais franchi ou presque.
"Nappe dans le noir
Blanc sommeil
Démarcation fin ?
Sol soleil électrique"