Benoît Vincent | Tous les 22 septembre
Une seule issue possible, me dit-il, et je m’y suis rendu.
Il y a plus qu’un pouvoir de la littérature, il y a une puissance. Mais cette puissance est dénudée. C’est une puissance perdue, en ce sens plus rédhibitoire encore. Mais c’est une puissante fascinante et, en ce sens, plus dangereuse encore.
Le premier texte que j’ai croisé était L’espace littéraire ; je crois ne l’avoir jamais lâché. Aujourd’hui, je retiens comme les œuvres les plus visionnaires ou les plus puissantes (après tout, cela revient au même) : Thomas l’obscur ; L’entretien infini et son double L’attente l’oubli.
Je me suis pourtant détaché de Blanchot, de la fascination que son travail produit. Plus encore : bien des passages, bien des pages, des textes entiers, me paraissent aujourd’hui illisibles, incompréhensibles.
Je ne maîtrise plus cette parole, comme l’image fascine la précision de la vue. Comme dit violemment Cioran, la phrase est tenue, élégante, forte ; mais elle ne désigne que le vide. Je ne serais pas si virulent, mais je comprends ce que Cioran veut dire.
La puissance est devenue pouvoir, et le pouvoir n’a pas à être loué. La puissance des œuvres de Blanchot et de quelques autres qui sont ses proches, quand elle devient vérité apurée, perd de son lustre et squelettique pouvoir elle résonne.
Il reste alors l’écart, l’écart à porter comme un choc entre lui et moi, entre nos œuvres, si ce mot veut dire quelque chose, aussi rude et âpre qu’entre moi et mon œuvre (si ce mot veut dire quelque chose).
Nous construisons nos textes dans l’écart, l’écart double entre soi et le texte, puis entre soi et le monde, dont le monde des livres qui nous ont plu jusqu’aux larmes ou fait trembler, la nuit, ramenés à la masse informe de notre corps isolément.
Il a fallu passer par l’écart, pour écrire. Il a fallu écrire à l’écart. A cette seule condition, la puissance se meut en potentialité. Écrire, c’est écrire encore, c’est pointer par l’écriture une écriture qui échappe, c’est désécrire. Détricoter tout ce fatras de lectures, dans l’écriture desquelles on s’est d’abord lové. On a cherché à écrire comme, à écrire pareil. On a récrit. On a donc tu. On n’a rien dit — à part, tu.
Puis le heurt, l’écart, la force de l’arrachage, le mépris parfois, la honte aussi, et surtout la violence infligée à son propre corps pour corps devenir, pour corps saisir et incarner.
Écrire est cette danse.
Cet écart n’est pas douloureux, au sens où le serait un geste romantique et noir, qu’on attribue facilement — et abusivement — à la pensée et l’œuvre de Blanchot (à son idiome comme à sa koinè). C’est un geste plein de vie, c’est un élan vigoureux, c’est devenir.
Devenir quelqu’un, peut-être, non pas au sens où le nom (propre) porterait en germe lui-même quelque volonté de pouvoir ; mais devenir soi-même, s’approprier, s’approprier son propre nom, dans le geste vital de la puissance transfigurée en potentiel.
On mesure l’étendue de nos forces ; on racle les miettes de son passé ; on soupèse ses erreurs ; on avance calmement, aveuglément, dans le soleil, oui. Une œuvre solaire, celle de Blanchot ? Une œuvre pleine de oui.
On efface toujours quelque chose en écrivant, comme sur un tableau noir, négligemment de la manche.
Il y a plus qu’un pouvoir de la littérature, il y a une puissance. Mais cette puissance est dénudée. C’est une puissance perdue, en ce sens plus rédhibitoire encore. Mais c’est une puissante fascinante et, en ce sens, plus dangereuse encore.
Le premier texte que j’ai croisé était L’espace littéraire ; je crois ne l’avoir jamais lâché. Aujourd’hui, je retiens comme les œuvres les plus visionnaires ou les plus puissantes (après tout, cela revient au même) : Thomas l’obscur ; L’entretien infini et son double L’attente l’oubli.
Je me suis pourtant détaché de Blanchot, de la fascination que son travail produit. Plus encore : bien des passages, bien des pages, des textes entiers, me paraissent aujourd’hui illisibles, incompréhensibles.
Je ne maîtrise plus cette parole, comme l’image fascine la précision de la vue. Comme dit violemment Cioran, la phrase est tenue, élégante, forte ; mais elle ne désigne que le vide. Je ne serais pas si virulent, mais je comprends ce que Cioran veut dire.
La puissance est devenue pouvoir, et le pouvoir n’a pas à être loué. La puissance des œuvres de Blanchot et de quelques autres qui sont ses proches, quand elle devient vérité apurée, perd de son lustre et squelettique pouvoir elle résonne.
Il reste alors l’écart, l’écart à porter comme un choc entre lui et moi, entre nos œuvres, si ce mot veut dire quelque chose, aussi rude et âpre qu’entre moi et mon œuvre (si ce mot veut dire quelque chose).
Nous construisons nos textes dans l’écart, l’écart double entre soi et le texte, puis entre soi et le monde, dont le monde des livres qui nous ont plu jusqu’aux larmes ou fait trembler, la nuit, ramenés à la masse informe de notre corps isolément.
Il a fallu passer par l’écart, pour écrire. Il a fallu écrire à l’écart. A cette seule condition, la puissance se meut en potentialité. Écrire, c’est écrire encore, c’est pointer par l’écriture une écriture qui échappe, c’est désécrire. Détricoter tout ce fatras de lectures, dans l’écriture desquelles on s’est d’abord lové. On a cherché à écrire comme, à écrire pareil. On a récrit. On a donc tu. On n’a rien dit — à part, tu.
Puis le heurt, l’écart, la force de l’arrachage, le mépris parfois, la honte aussi, et surtout la violence infligée à son propre corps pour corps devenir, pour corps saisir et incarner.
Écrire est cette danse.
Cet écart n’est pas douloureux, au sens où le serait un geste romantique et noir, qu’on attribue facilement — et abusivement — à la pensée et l’œuvre de Blanchot (à son idiome comme à sa koinè). C’est un geste plein de vie, c’est un élan vigoureux, c’est devenir.
Devenir quelqu’un, peut-être, non pas au sens où le nom (propre) porterait en germe lui-même quelque volonté de pouvoir ; mais devenir soi-même, s’approprier, s’approprier son propre nom, dans le geste vital de la puissance transfigurée en potentiel.
On mesure l’étendue de nos forces ; on racle les miettes de son passé ; on soupèse ses erreurs ; on avance calmement, aveuglément, dans le soleil, oui. Une œuvre solaire, celle de Blanchot ? Une œuvre pleine de oui.
On efface toujours quelque chose en écrivant, comme sur un tableau noir, négligemment de la manche.
L’image de Blanchot, me demandez-vous ; depuis la sienne, et ce moment très intense de connivence éperdue, je pense à ceux qui l’entourent et ceux qu’il porte. Une pensée écrite ; toutefois aussitôt effacée par de nouveaux mots encore, griffonnés à la hâte, dans l’anse de l’inquiétude.
J’écris J’ai un livre à lire.
8 avril 2013