Bouteille de rhum
Chapitre 1 : dans lequel on voit l’auteur visiter l’Institut national de l’audiovisuel en se glissant dans une file d’étudiants (master inasup). (Première partie).
Il fallait s’y attendre : ici, pas de parquets grinçants, pas de portes aux gonds de la taille d’une bouteille de rhum, pas d’épaves magnifiques, pas de reliures pleines peaux, pas de verni virant au jaune paille, pas de clercs à la démarche feutrée, pas de Bartleby, pas de hautes étagères d’où sort un fanal, pas de rumeur de chariots à roulettes tout au fond d’un couloir, pas non plus de larges bobines contenues dans des boîtiers marqués d’une étiquette, prestigieuse parce qu’à moitié rongée.
Le visiteur s’y retrouve tout de même, juste avant de passer une vaste et hospitalière porte tambour (si généreuse, en vérité, on pourrait y séjourner : un appartement parisien y tiendrait à l’aise, tournant sur son axe, histoire de suivre la course du soleil et se griser un peu) : il s’y retrouve, grâce à de judicieux panneaux, évoquant le schéma électrique et le plan d’évacuation en cas d’incendie (en moins urgent).
L’incendie, d’ailleurs : plus que le Déluge, il semble avoir préoccupé les organisateurs des lieux, pompiers, architectes et conservateurs tous unis dans le souci de ne rien perdre (et pourtant, le Déluge se montre parfois bien plus ravageur que les flammes, le Déluge historique en tout cas, dont la crue de 1910 est une réplique en forme de parodie : après tout, il avait trouvé le moyen de noyer les poissons). Toutes ces bouteilles ne servent d’ailleurs pas à noyer l’incendie sous l’eau, ce qui serait le meilleur moyen de chasser catastrophiquement la catastrophe – non, elles sont là pour absorber le plus vite possible, d’après je ne sais quelle formule chimique, la totalité de l’oxygène ambiant : les flammes, alors, cessent d’être flammes pour devenir spectres de spectres ; mais s’il traîne une souris sous les meubles, elle paye de sa vie son audace (de toute façon, il n’y a rien à manger pour elle).
Dépôt légal (détail)