Les accoudoirs d’un scrutateur



Chapitre 2 : dans lequel on voit l’auteur visiter l’Institut national de l’audiovisuel en se glissant dans une file d’étudiants (master inasup). (Deuxième partie).





Le dépôt légal de l’audiovisuel ne chôme jamais : et pour rendre, dans ces appartements, le travail incessant, comme une forge froide aux enfers chargée de reconvertir à chaque instant les nouveaux damnés, on a eu l’idée de confier certaines tâches à des automates. On attend d’eux de la précision, de l’obstination, aucun sommeil, ni de questions métaphysiques, ontologiques, sur les raisons de leurs efforts. (Mais quelques rares témoins vous le diront : ils prétendent avoir approché leur oreille, et entendu l’à-quoi-bon murmuré par ces machines, au beau milieu de la nuit, à l’heure où le site était absolument désert.)


Étiquetage automatique des disques contenant les enregistrements du jour.


Le flux ne tarit pas, l’image provient toujours, les télévisions prodiguent elles aussi vingt-quatre heures sur vingt-quatre, d’où elles se trouvent ; c’est à peine si on ose encore cligner de l’œil, ou des deux, de peur de manquer un seul instant de cette abondance. Il en faut, des câbles, pour rassembler toutes les animations télévisées puis les étrangler en direction d’un seul tuyau, à la manière d’un entonnoir, pour les contenir – et bien sûr, il faut imaginer que tout cela se déroule dans un froid de station orbitale, pour compenser la surchauffe des circuits informatiques. (Ici, quand on parle de mémoire visuelle, c’est en émettant un petit nuage de vapeur.)





Ah, l’Institut de l’audiovisuel, ce n’est bien sûr pas seulement l’endroit où l’on accumule des archives à l’abri du soleil et de l’eau du Déluge : c’est l’endroit où l’on redécouvre, où l’on trie, où l’on ranime, où l’on porte régulièrement sur des images anciennes des regards critiques nés du matin même, où l’on fait revenir à la vie (et si, pour faire revenir à la vie, il faut se montrer moqueur, eh bien, on se moquera). Ces fauteuils sont là pour permettre à des spectateurs d’assister à des projections : ils sont profonds, je veux parler des fauteuils, ils sont confortables, on traverserait l’Atlantique à leur bord, on s’y endormirait presque, en se disant qu’il est bon pour un scrutateur d’avoir de larges accoudoirs.



Salle de projection (détail)

18 octobre 2010
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