Brice Petit : Locus, poèmes

Ces poèmes de Brice Petit sont extraits de Locus, livre à paraître début 2006 aux éditions Grèges. « Ils sont représentatifs, nous écrit Lambert Barthélémy, non seulement de qu’écrit Brice Petit en ce moment, mais aussi de l’éthique en fonction de laquelle il le fait... et pour laquelle on le juge. »

Nous rendons compte régulièrement sur remue.net des livres publiés par Lambert Barthélémy et Emmanuelle Dufosses, ils sont la preuve vivante que le métier d’éditeur est un maillon essentiel de la trajectoire qui réunit les écrivains et les lecteurs, de l’éthique commune sur laquelle peuvent se fonder la littérature et le monde dans lequel nous vivons.

Non, il n’y a pas d’écart entre ce qu’écrit un écrivain et son éthique. La nécessité d’un texte s’enracine au-delà des intentions subjectives de son auteur, sa réussite revendique une cause soumise, mais irréductible, à sa composition. Il ne s’agit pas, pour autant, d’envelopper la littérature dans le mystère facile ou l’idéalité, mais d’affirmer que les textes pèsent d’autant plus lourd, sont d’autant plus beaux, qu’ils revendiquent leur part de matière en se privant du besoin de dominer cette matière. L’équilibre est fragile. Le texte doit résister à la tentation de s’aimer, et de plaire. L’éthique fait la charnière, elle signe le rapport de l’écrivain à son œuvre, mesurant l’intensité du don de soi.

Sur le site de François Bon, lire le dossier - rappel des faits, textes, comité de soutien - Brice Petit et Jean-Michel Maulpoix dans une affaire qui nous concerne tous. PhR et DD.


un lieu n’est pas un confident
la mort non plus

elle et le lieu sont une même souche
émondée refleurie

rien qui appelle à l’aide
l’histoire a une hache

très grande
elle travaille le couloir terrestre

étroit
écrire écrit près du murmure

muet sans vers
de quelque chose comme une fosse errante

un homme dit : finalement
rien n’aura eu lieu que le lieu

ça ne traverse plus la mer
brûlante de l’histoire

les hommes
les coquilles de sens sur le sol

et comme inabouties
tournant en soi

vrillé de soi couché
ça reste là sans lieu

c’est un lieu là perdu kolyma
un lieu anéanti

quand l’acte est consommé
un lieu comme il n’y en a pas

un lieu que le poème trame
puisqu’il en est l’obscur le tenace

négatif
la cendre ressassée

la cendre qui murmure
la cendre rêve de la lettre

la lettre se toiture
de cendre

les noms portent ainsi les incendies du temps

le lieu
le lieu de la disparition est la disparition

il disparaît il est
sous vos yeux une disparition

il est là
et la terre s’enfuit sous vos yeux

le corps de ce qui passe abrite
le corps de qui nourrit ce qui ne passe pas

dans cet abri du corps est
plus que moi

est le mot que je porte et qui s’
évanouit

le lieu est sous la neige
autant dire non-lieu

à peine si un arbre en indique le signe
une plaine enfouie dans le regard des os

quel témoin des départs
des retours

il y a dans le ciel
un lieu qu’il n’y a pas

10 octobre 2005
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