Cécile Wajsbrot | Incidences climatiques en littérature 7
Marguerite Duras naît en 1914 en Indochine, et passe son enfance et sa jeunesse en allées et venues entre la France et le continent asiatique, à Saigon, au Cambodge ou à Vinh Long, dans le delta du Mékong. Après avoir fréquenté le lycée de Saigon, elle va pour une année en France, où elle obtient son premier bac en 1932, revient au Vietnam pour le second, l’année suivante, et retourne définitivement en France, à Paris, en octobre 1933.
En 1936 elle fait la connaissance de Robert Antelme après avoir vécu plusieurs relations amoureuses, dont celle racontée quelques décennies plus tard dans L’Amant. Marguerite Duras obtient, cette même année, sa licence de droit et en 1937, le Diplôme d’études supérieures d’économie politique et de droit. Elle travaille au ministère des Colonies, collabore, en 1939, à un ouvrage sur les colonies et se marie, cette année-là, avec Robert Antelme, qui est mobilisé peu après.
Son premier manuscrit est envoyé chez Gallimard en 1941 et c’est Raymond Queneau qui lui signifie le refus de la maison. En 1942 Duras devient secrétaire de la commission du contrôle du papier d’édition. Elle accouche d’un enfant mort-né et en octobre 1942, vient habiter au 5 de la rue Saint-Benoît, qu’elle occupera jusqu’à la fin de sa vie. Elle fait la connaissance de Dionys Mascolo.
En 1943, le roman refusé chez Gallimard et retravaillé est publié chez Plon sous le titre Les Impudents. En avril 1944, Duras entre dans le réseau de résistance de François Mitterrand. Le 1er juin de cette même année, Robert Antelme est arrêté et déporté. Marguerite Duras adhère à l’automne au Parti communiste français et publie, à la fin de l’année, La Vie tranquille chez Gallimard. En juin 1945 Antelme revient de déportation. Tous ces épisodes seront racontés trente ans plus tard dans La Douleur et dans les récits qui l’accompagnent.
1947 est l’année de la parution de L’Espèce humaine, de Robert Antelme, celle du divorce entre Antelme et Duras ainsi que de la naissance de Jean Mascolo. 1949 marque la rupture avec le PCF — dont Duras sera exclue en 1950, en même temps qu’Antelme et Mascolo. La même année, Duras signe l’appel de Stockholm contre la prolifération des armes nucléaires. En juin paraît Barrage contre le Pacifique – la guerre d’Indochine a commencé dès 1946. Et puis les romans se succèdent. 1952, Le Marin de Gibraltar ; 1953, Les Petits Chevaux de Tarquinia. Leur facture est encore relativement traditionnelle. C’est avec Le Square, surtout, en 1955, que Duras entame une rupture esthétique, le roman se présentant comme une suite de scènes dialoguées. En octobre de cette année-là, Duras et Mascolo, Antelme, Edgar Morin et Louis-René des Forêts créent le Comité d’action d’intellectuels français contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord.
1958 – aux éditions de Minuit paraît Moderato Cantabile et Duras écrit également les dialogues de Hiroshima mon amour, le film d’Alain Resnais tourné en été et présenté au Festival de Cannes l’année suivante. En 1960 paraît Dix heures et demie du soir en été. Le 6 septembre, la signature de Duras figure, avec cent vingt autres, au bas du « Manifeste des 121 » intitulé « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie ».
Il ne s’agit évidemment pas de faire une chronologie complète de la vie et des œuvres de Duras, qui serait fastidieuse et inutile, mais d’esquisser quelques traits autour de sa première période et des Petits Chevaux de Tarquinia. Dans le même esprit, pour donner des repères sur l’époque où s’est créé et développé ce qu’on a appelé le Nouveau Roman, voici quelques autres dates.
En février 1950 Nathalie Sarraute fait paraître dans la revue des Temps modernes un texte intitulé « L’Ère du soupçon » qui pose les jalons d’une mise en question du roman classique et qui sera repris, en 1956, avec trois autres textes, dans un recueil portant le même titre. Alain Robbe-Grillet rassemble, en 1963, des essais parus entre 1956 et 1963 sous le titre Pour un nouveau roman. Michel Butor enchaîne avec des essais écrits entre 1964 et 1969 qu’il rassemble dans son volume Essais sur le roman. La réflexion théorique de ces écrivains, par ailleurs très différents, converge vers une mise en question du récit traditionnel avec intrigue, personnages et auteur omniscient. Au moment où la mode est à la littérature engagée défendue par Sartre — qui rattrape en quelque sorte son absence d’engagement réel sous l’Occupation par une frénésie d’engagement après-guerre — Sarraute, Butor ou Robbe-Grillet mènent, quant à eux, une réflexion sur la forme du roman qui a pour résultat de l’éloigner des questions d’histoire et de société. Claude Simon et Duras, chacun à sa manière, seront les seuls, dans cette configuration, à tenter à la fois le renouvellement des formes et la prise en compte d’une histoire collective.
Tous ces écrivains sont autant dans la théorie que dans la pratique, et dans les années 50 et 60, enrichissent leur bibliographie de nombreux romans. En voici quelques-uns.
1953 : Martereau de Nathalie Sarraute, Les Gommes de Robbe-Grillet.
1956 : L’Emploi du temps de Michel Butor.
1957 : La Modification de Butor, Le Vent de Claude Simon, La Jalousie de Robbe-Grillet.
1958 : L’Herbe de Claude Simon.
1959 : Le Planétarium de Sarraute, Dans le labyrinthe de Robbe-Grillet.
1960 : La Route des Flandres de Claude Simon.
1964 : Les Fruits d’or de Nathalie Sarraute.
Dans l’œuvre de Duras, Les Petits Chevaux de Tarquinia font suite au Marin de Gibraltar. On verra qu’il existe des points de convergence entre ces deux livres, jusque dans leur accueil critique, plutôt mitigé par rapport au succès de Barrage contre le Pacifique. Duras écrit Les Petits Chevaux de Tarquinia dans la foulée du Marin de Gibraltar, en neuf mois, peut-être comme un espoir de revanche sur les réserves rencontrées par le roman précédent. Par la suite, Duras reconnaîtra peu ses écrits des années 50, considérant comme départ de son œuvre véritable Moderato Cantabile. Pourtant, Les Petits Chevaux de Tarquinia méritent mieux que les réserves de son auteur et sont loin de justifier l’absence de propos souligné par la critique.