Charles, licencié en poésie
Dans le très beau film Ararat d’Atom Egoyan, Charles Aznavour joue le rôle d’un producteur de cinéma occupé par la reconstitution du génocide arménien. Une historienne de l’art spécialiste d’Arshile Gorki est sollicitée en tant que conseillère scientifique. La voici sur le plateau de tournage, s’étonnant qu’on aperçoive en décor, le mont Ararat, pourtant éloigné de 500 km du village. « C’est pour les besoins du tournage », lui explique l’excellent Aznavour, car les Arméniens sont très attachés à ce symbole. Continuant de protester au nom de la vérité, l’historienne d’art s’entend alors dire par le scénariste : « C’est une licence poétique ».
C’est toujours la même chanson. Un grand chanteur français meurt, et le voici propulsé dans les discours, homélies et articles nécrologiques : Poète. P majuscule, s’entend. Un chanteur, car pour ce qui est d’une chanteuse, le cas ne semble pas encore connu.
Ça doit correspondre à une promotion céleste dans l’inconscient collectif français. Nous y avons eu droit aux Invalides, et mieux encore à Erevan. Charles 2 était – fallait s’y attendre ! – associé à un autre grand Charles, Trenet cette fois. La plume-du-Président devait se souvenir de la une – sur une page entière – d’un quotidien : une photo de Charles 1, sur laquelle on pouvait lire : LE POÈTE EST MORT.
C’était mignon. Et par surcroît ça fit se retourner Pierre Emmanuel ou René Char dans leur tombe…
À propos de la chanson L’indifférence, la plume-du-Président commente : « ce texte qui ressemble à du Verlaine chanté sur un tango ». Pourvu qu’au futur décès d’un ancien Président de la république – ça peut arriver malgré tout, mais le plus tard possible, souhaitons-le – nous n’entendions personne dire qu’il ressemblait à Adolphe Thiers !...
L’histoire des arts poétiques. S’il vous plaît. Du sens de l’histoire.
Un peu d’histoire des formes aussi, lorsqu’il s’agit d’art, ne croyez-vous pas ?
Mais bien sûr que non, voyons, puisque c’est une licence poétique.
Patrick Beurard-Valdoye