En flânant en méditant
D’abord, la rue Saint André-des-Arts (Paris, 6ème), qui garde son étroitesse, son petit cinéma juste sur la droite, rue Gît-le-Cœur (un nom pour un futur livre d’Aragon !), et son aspect “flânerie” pas trop dérangée par les rares automobiles, car elle n’est pas encore piétonne. Au numéro 33, un portail sévère mais surmonté d’une tête sculptée en pierre qui sourit au visiteur : les éditions Balland et POL. Pas un énorme écriteau, non, simplement une adresse précisée. On repense à cette interview de Paul Otchakovsky-Laurens, parue dans “Le Monde” daté du 2 mai, intitulée “POL, un éditeur hors ligne”, avec une photo de profil du fondateur, prise par Olivier Roller, et vraiment digne d’un tableau de François Clouet. Un éditeur libre, même si son actionnaire est désormais Gallimard. “J’aime, dans les romans, ce qui excède l’idée même de roman”, dit POL. Un peu plus loin, un bouquiniste à l’enseigne de “Mémoires”. Une exposition sur le “Surréalisme sous l’Occupation” y a été organisée jusqu’au 10 mai, à l’occasion de la sortie du livre de Michel Fauré (”La Table Ronde”, réédition, 2003). Le libraire est sympathique : il donne son numéro de téléphone pour que l’on puisse vérifier qu’un recueil de poèmes de René Char caché parmi d’autres ne se trouve pas déjà dans “Commune présence” (NRF, Poésie/Gallimard, 1978). En face du Luxembourg, la “librairie” José Corti, 11 rue de Médicis. Une sorte de monument historique que les touristes prennent sans doute pour un simple libraire qui solde sa marchandise sur le trottoir : il dispose en effet d’un petit étal dehors avec des réductions à 50 %. Mais une fois franchi le seuil (en vitrine : “André Breton par Julien Gracq”, entre autres), c’est le parquet ciré, c’est l’odeur des livres, un hôte qui ressemblerait plus à un éditeur aimable (Bertrand Fillaudeau, le successeur de José Corti) qu’à un vendeur de chez Gibert Jeune... Pour Julien Gracq, justement, il attend que Le Seuil lui en apporte un fort contingent d’œuvres pour renouveler son stock. J’achète les “Entretiens” de ce grand écrivain (José Corti, 2002), qui courent de 1970 à 2001. Avec la joie retrouvée du coupe-papier (page 57) : “Le monde des échecs est un monde cristallin, glacé. La littérature, elle ne m’intéresse que parce qu’elle a à voir plus ou moins avec l’affectivité. J’ai profondément sympathisé en cela avec Breton, pour qui une idée, il me semble, restait sans valeur si elle n’éveillait pas un sentiment. C’est en cela que son différend avec Valéry - qui avait, lui, tendance à tirer la poésie du côté du jeu d’échecs - était sans remède.” Dans cette librairie d’éditeur, ou dans cette édition de librairie, férue de surréalisme depuis l’origine, il y a une échelle pour atteindre les ouvrages empilés jusqu’au plus haut possible. La devise célèbre de José Corti est maintenue : “Rien de commun”. Il faut savoir que le livre “Au château d’Argol” de Julien Gracq fut vendu seulement à 300 exemplaires en 1938 ! Les éditions Verdier se dissimulent, elles, sous forme de “permanence” (leur adresse exacte est dans l’Aude : 11220, Lagrasse) au 234 rue du Faubourg Saint-Antoine, au fond d’une impasse. Une sorte de “loft” : au travers des vitres on aperçoit quelques individus qui tapent sur des ordinateurs. Un grand bâtiment abrite dans la cour trois cabinets d’architectes et, au fond de celle-ci, un magasin de textile qui vient d’être vendu “à des Américains”, me précise un travailleur des lieux. Quitté cette sorte de “passage”, en retournant du coté Bastille, on croise à main gauche la rue Charles Baudelaire. La plaque indicatrice bleue ne mentionne pas qui était cet illustre inconnu, ni ses dates de naissance et de mort. Sans doute un banquier ou un marchand de lunettes ?
Dominique Hasselmann, 12 mai 2003.
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