Alechinsky en étoile Comment la photo peut-elle rendre compte de la peinture, ou la littérature de la peinture, ou la peinture de la musique ou la musique de la peinture, ou la peinture de la littérature ou la littérature de la photo... ? Polyphonie des formes, “polychromes”... Ouvrir grands alors les yeux et les oreilles ! Le peintre Pierre Alechinsky, né en 1927 (”l’année où le cinéma devient parlant”, dit-il dans le livre de Marcelin Pleynet, “Le pinceau voyageur”, Gallimard 2002) vient d’être exposé aux regards - pendant seulement dix jours - à la Galerie du Jeu de Paume à Paris, du 19 au 29 juin. Avantage : pas de file d’attente, quelques salles quasi désertes, où dans l’une trône un clavecin repeint de rouge, de bleu, de rose et de jaune par Alechinsky, et dans l’autre un piano à queue noir, entouré de quelques chaises pour un auditoire improbable, avec, bien en évidence, la partition des “Morceaux en forme de poire” d’Erik Satie... Tiens, comme on se retrouve ! Car le titre de ce rendez-vous rapide près de la place de la Concorde est : “Pierre Alechinsky/Satie en miroir”. Ou comment Alechinsky, écrivain dans l’âme (il a publié, entre autres, “Le bureau du titre”, livre dans lequel il s’applique à mettre à la disposition de ceux qu’il nomme les “nécessiteux”, des titres d’ouvrages tout faits !), s’est amusé à collecter l’ensemble des indications bizarres (poétiques) qu’Eric Satie faisait figurer sur ses partitions et les a illustrées, y compris celles qui n’ont pas été publiées par le musicien. Les “Indications de jeu”, Erik Satie, Pierre Alechinsky (La Pierre d’Alun, 2002), sont présentés ainsi par Ornella Volta: “Satie avait coutume de glisser entre les portées de ses compositions musicales des indications de jeu qui, au lieu de s’adresser à la technique de l’interprète, visaient à dérégler ses défenses rationnelles de façon à accroître sa disponibilité. Sorties de leur contexte et répertoriées par ordre alphabétique pour mieux dégager leur suggestion objective, ces indications ont été offertes aux jeux de pinceau d’Alechinsky.
Ainsi, dans les pages harmonieusement composées par Jean Marchetti, nous pouvons entendre la musique silencieuse, mais néanmoins captivante, d’un duo de poètes.” Octavio Paz :
Pierre Alechinsky jouait de la clarinette : il a logiquement illustré des partitions de Michel Portal. Il a aussi écrit un livre en commun avec Jean-Yves Bosseur, compositeur et directeur de recherches au CNRS de Paris (”La plume”, Actes Sud, 1995), où son pinceau, par des illustrations transformant la lecture des portées musicales en parcours aléatoire, s’allie à la baguette du chef d’orchestre et intervient dans l’interprétation-même de l’œuvre. Michel Butor et Michel Sicard ont consacré un splendide ouvrage à ce peintre vif, maniant l’humour comme le tube de couleurs ou les taches de peinture jetée ou marouflée (Alechinsky, “Frontières et bordures”, éditions Galilée, 1984), à l’occasion d’une exposition à l’Abbaye de Sénanque, à Gordes (Vaucluse) du 22 mai au 3 septembre 1984. Tribut auquel il a apporté sa propre patte et ses commentaires de “peintre écrivant”. Alechinsky, vu par Joyce Mansour (1972), “Cobra est l’image nocturne d’un lavis chinois”, extrait :
Impossible de prendre des photos à l’intérieur d’un musée quand il n’y a que trois personnes et deux gardiens par salle. Le documentaire de Pierre Dumayet sur Alechinsky (Arte, diffusion le 15 octobre 1998) passe en boucle dans une pièce adjacente, et dans un silence religieux car nombrable exactement... Les reproductions de quelques œuvres d’Alechinsky ont donc transformé, pour une fois, cette chronique-photo en une démarche “picturale”. Sachant qu’il s’agit simplement de “donner à voir”, puisque, comme l’a écrit André Breton, “l'œil existe à l’état sauvage”. Et l’objectif photographique n’en est, il est vrai, qu’un substitut temporaire et mécanique. Dominique Hasselmann, 2 juillet 2003.
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