Horizons purifiés
ou Marguerite anagrammaticale

 


une visite à Marguerite Yourcenar en son petit musée caché dans le Nord

Il existe un petit musée Marguerite Yourcenar à côté de Bailleul, à trente kilomètres au nord de Lille, dans le bourg de St Jans-Cappel. J’étais passé plusieurs fois en vélo devant cette simple maison de briques rouges, mais les visites n’ont lieu que sur rendez-vous. Et puis, les œuvres de Marguerite Yourcenar, c’était déjà lointain, classique...

A Paris, difficile de suivre ses traces : née à Bruxelles le 8 juin 1903 (le centenaire de sa naissance est passé plutôt inaperçu), Marguerite Yourcenar vécut son enfance au Mont-Noir en Flandre française, puis s’exila en 1939 sur l’île des Mont-Déserts aux Etats-Unis, dans le Maine, tout en ne cessant de parcourir le monde.

Certes, la Coupole de l’Académie française, qui l’accueillit le 22 janvier 1981, est toujours à la même place, mais l’hôtel Saint-James et d’Albany, qu’elle fréquenta régulièrement lorsqu’elle venait rencontrer ses éditeurs, a été vendu depuis par appartements.



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Le musée Marguerite Yourcenar (juste trois salles) de St Jans-Cappel a été ouvert en 1985. Elle-même eut le bonheur de le visiter le 3 mai 1986 (elle est décédée aux USA le 17 décembre 1987). Un livre de photos, consultable sur place, la montre toute souriante en compagnie de Louis Sonneville, l’initiateur, et du député-maire de Bailleul, Jean Delobel.

"Les extraordinaires carambolages du hasard” dont parle Marguerite Yourcenar, et que cite Josyane Savigneau dans la biographie qu’elle lui a consacrée (Gallimard, 1990), se retrouvent ici comme assemblés à l’issue d’un voyage au long cours...

Car on peut y approcher la machine à écrire qu’elle utilisa, comme y parcourir son foisonnant arbre généalogique d’où elle tira son anagramme Yourcenar, à une lettre près, du patronyme familial de Crayencour. Masque derrière lequel Marguerite s’inventa ainsi une personnalité singulière et audacieuse pour son époque.

Pas très loin du musée, se trouve le Mont-Noir. Une sorte de petite montagne verdoyante avec un parc solitaire et fleuri dans lequel fut bâti le château ancestral, détruit en 1918 : « Le Mont-Noir aurait eu cent chambres (comme l’antique Thèbes avait cent portes !). J’y ai parfois repensé depuis et n’ai jamais pu en retrouver plus d’une trentaine. En trichant un peu et en ajoutant la petite maison du concierge, qui existe encore, l’écurie, devenue plus tard garage, et la buanderie où je lavais tous les samedis mon gros mouton, on arriverait à une quarantaine de chambres, tout au plus. Ainsi grandissent les légendes (...). » (lettre de 1966).

Ce parc, immense, abrite la Villa Mont-Noir, une sorte de villa Médicis en réduction, qui accueille cette année quatorze écrivains pour deux ou trois mois de calme et de méditation.


L’un des premiers livres de Marguerite Yourcenar, Alexis ou le Traité du Vain Combat, fut publié par René Hilsum en 1929, l’éditeur du Sans Pareil qui ouvrit ses pages aux surréalistes. Roman de style « gidien », il exprime déjà le droit à la différence que Marguerite Yourcenar proclama durant sa vie avec Grace Frick.

Fuyant la montée du nazisme en 1939, Marguerite Yourcenar partit vers les Amériques. Un de ses amis, Jacques Kayaloff, raconte Josyane Savigneau, souhaitait que Marguerite Yourcenar connût Breton, ainsi qu’il le lui écrit le 22 juillet 1941 ; « J’ai rencontré il y a peu de temps André Breton qui m’a lu son dernier poème Fata Morgana, et m’a fait part de son dernier livre, l’Humour noir, qui devait être publié en France, mais, vu les circonstances, ne l’a pas été. Je lui ai parlé de vous, et à votre prochaine visite, j’aimerais que vous le rencontriez. »

On ignore si cette rencontre improbable eut lieu. Pourtant, élue première femme à entrer à l’Académie française, Marguerite Yourcenar fit l’éloge de Roger Caillois, son prédécesseur, et parla du surréalisme même si elle lui opposa, in fine, « la rigueur » du grand poète et amateur de minéraux.

Quand elle publia Le coup de Grâce en 1939 (avec un « G » majuscule), certains y virent une allusion à l’amie dont elle partagea la vie outre-Atlantique. Le cinéaste Volker Schlondörff en tira un film en 1977, avec Mathieu Carrière, qui la laissa sur sa faim.

Une autre expérience cinématographique débuta avec le cinéaste André Delvaux (frère du peintre surréaliste Paul Delvaux), d’après son livre L’Oeuvre au Noir (1968) : mais Marguerite Yourcenar ne put voir que la fin du tournage (avec Gian Maria Volonte dans le rôle de Zénon), en décembre 1987, peu avant sa mort, et non la réalisation finale et la diffusion du film en mai 1988.

Mémoires d’Hadrien (1951) demeure le chef-d’œuvre de Marguerite Yourcenar : c’est véritablement le pont romain qui nous relie à notre passé, à notre mémoire, à notre civilisation. Un livre impérial. Mais le présent ne l’a pas laissée indifférente pour autant.

De passage à Paris en mai 1968, Marguerite Yourcenar traversa le quartier latin – cela s’imposait – au milieu des CRS avec leurs boucliers qui devaient lui rappeler les légions romaines... Elle déclara être proche des idées exprimées à l’époque et devint plus tard une sincère militante écologique.

Par-delà les vastes étendues du nord de la France, quand les houblonnières résistent au vent maritime, ou sur une île battue, au large de Boston, par les flots de l’Atlantique, où se visite encore cette maison au nom bienvenu de Petite Plaisance dans laquelle l’écrivain passa les plus belles années de sa vie, les lignes d’écriture précise, grammaticale et ineffaçable de Marguerite Yourcenar, brassant le passé au même titre que le présent, nous emportent toujours vers des horizons purifiés.

Dominique Hasselmann, 25 août 2003.

 

les liens pour continuer
http://www.chez.com/museeyourcenar/frames20.htm
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/memorables/index.php?emission_id=5060137
http://www.users.skynet.be/yourcenar/
http://www.adisc.be/yourcenar/

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