Dominique Dussidour | Quatre maisons nièces et leurs quatre figures

après les quatre mères et les quatre filles, chaque série étant introduite par le releveur de traces, où l’on fait connaissance des quatre nièces…

Sur la deuxième ligne du thème, celle des nièces, la façon d’obtenir les figures se modifie : de la reprise horizontale des quatre éléments (tête, cœur, ventre, pieds) pour composer chaque figure - les 4 têtes des 4 mères composant la fille 1, les 4 cœurs des 4 mères la fille 2, etc. - , on passe à la conjugaison verticale de deux figures. Du coup, le nombre de maisons et de leurs figures est divisé par deux : huit maisons mères et filles sur la ligne 1, quatre maisons nièces sur la ligne 2.

Les 4 Mères et les Nièces 9 et 10
Les 4 Mères et les Nièces 9 et 10

Les 4 mères et les nièces 9 et 10.

Les nièces 9 et 10 résultent du croisement deux à deux des figures qui occupent les quatre maisons mères : la nièce 9 conjugue les mères 1 et 2, la nièce 10 les mères 3 et 4. Cela selon une résolution binaire : deux têtes semblables (composée d’une pierre ou de deux pierres) donnent deux pierres, deux têtes dissemblables (une pierre d’un côté, deux pierres de l’autre) donnent une pierre. On le répète pour les quatre éléments de chaque figure.

Les 4 Filles et les Nièces 11 et 12

Les 4 filles et les nièces 11 et 12.

Les nièces 11 et 12 conjuguent deux à deux les figures qui occupent les quatre maisons filles : la nièce 11 conjugue les filles 5 et 6, la nièce 12 les filles 7 et 8.

Les filles redistribuaient les cartes des mères, les nièces battent le tout, mères et filles.


La maison 9

Sur quel sol marche-t-on quand on voyage ?

La maison 9 se tient à la verticale de la maison 1 d’après la chute et de la maison 2 du sortir à l’air libre. C’est la maison des grands voyages et de ceux qu’on y rencontre.
Astronaute, alpiniste, plongeur des grands fonds, explorateur de territoires lointains, découvreur de continents aussi bien que du ruisseau qui coule au pied de chez soi, chacun écarquille les yeux où il se tient, sur ce qu’il voit. C’est moins une question de distance que d’attention du regard.

On peut voyager loin autour de sa chambre, a écrit un écrivain.
D’autant plus loin qu’on n’y voit goutte, a filmé un autre.

Des traces d’humidité au plafond suffisent à s’évader, sans parler de l’immobilité narrative d’un gecko.

Grands voyages dans l’espace et aussi dans le temps : cosmogonies, longs récits de filiation, inventaire ou invention des dynasties, généalogies historiques, spirituelles, littéraires et artistiques sont au programme.

Une maison où relire Hérodote, Proust.

Dans la maison 9 on ne vient pas de nulle part ou de personne, on ne tombe pas du ciel. On vient de maisons qui ont été bâties d’os et de mortier, de glace et de sable, de sang et de soupirs. Il y a du déjà-là, de l’avant-soi.

De Paris, James Joyce écrivait à Nora qui le pressait de la rejoindre en Irlande : « Je ne vois pas l’intérêt de partir quelque part tant que je n’ai pas un endroit où revenir. » La maison 9 prolonge l’assertion joycienne : un endroit où revenir, c’est un endroit d’où partir.

Dans cette maison, avoir de bonnes cuisses est conseillé.


             La figure dans la maison 9

             Sur la ligne précédente, il a fallu quatre mères pour obtenir quatre filles, deux figures composent ici une nièce. On y perd en exactitude de la version dite reproductible ; on y gagne en élaboration.

             Nous avons déjà obtenu Via, le Chemin, le Commun, en maison 4, la maison des terminaisons et des issues qui fermait la série des quatre mères. Il réapparaît en seconde ligne pour ouvrir la série des quatre nièces.
             Via achevait/Via inaugure - son retour est-il un besoin de se rassurer par du familier, la protection vraie ou fausse que procure le gri-gri (médaille ou son ruban, caillou, bouton de nacre, oreille-de-Neptune) dont on ne se sépare jamais ?
             Il résulte de la conjonction des deux Fortuna, mayor et minor. Était-ce trop offrir pour un départ dans l’existence ? Aurait-on dû se montrer plus discret ? Des pierres ont-elles éclaté ?
             Une demande de banalisation atteint ici le général. Il vient de quelque part, certes, mais un quelque-part qui se révèle un n’importe-où.
             Via commande au chemin, pas à la destination, il construira l’itinéraire un pas après l’autre.

             Ce n’est pas une carte ni un atlas que le général devra avoir en poche quand il prendra le départ, c’est une feuille de route blanche.
             Quadrillée ?
             S’il préfère.
             Il la remplira au fur et à mesure avec le crayon noir dont il aura auparavant mouillé la mine du bout des lèvres.

             Il n’a pas d’idée toute faite, c’est une qualité.
             Mais il n’a aucune image en tête, son sens de l’adaptation aura tendance à prendre le pas sur sa capacité à innover, à transformer.

             Où courez-vous de si bon matin, cher ami ?
             On verra bien, nous murmure-t-il en surveillant que personne n’écoute. Si vous tenez à le savoir suivez-moi… Attention, je veux ne voir qu’une seule tête – une seule pierre, veut-il dire. Et en attendant, chut !
             L’anonymat est la règle, l’incognito son passeport.
             Ce départ à l’aube est excitant : on croit partir pour la vallée des Bouddhas… on arrive à Bagnolet.

             Le côté Monsieur Verloc qu’il cultive parfois jusqu’à la coquetterie n’est pourtant pas pour déplaire : se fondre dans le décor, persan quand on est en Perse, tarahumara ailleurs.

             On roule son caillou, pas un rocher de Sisyphe.

             On explore en Petit Poucet les forêts de Senlis, on ne passe pas les Alpes avec ses éléphants.

             S’il publie un jour la relation de ses voyages, ce sera sans indication de nom d’auteur.

 

La maison 10

À la verticale des maisons mères 3 et 4, la maison 10 accueille la figure de ce qui structure et dit de quelle façon.
C’est la maison de la loi et du droit, des modèles, des totems, des professions qui ne sont pas des emplois d’opportunité mais engagent l’apprentissage et l’étude du rapport à une norme - bonne instruction, bonne santé, bonne syntaxe -, l’observation de règlements.
C’est aussi la maison du squelette, de l’armature, de l’agencement des parties.
On y règle les emplois du temps, les alternances entre la veille et le sommeil, la répartition entre le travail et le repos. On y décide d’une carrière, d’un emprunt sur trente ans, de l’abonnement à des journaux et magazines.

             La figure dans la maison 10

             Albus, la Blancheur mate, manque du ventre et de l’éclat qui aurait permis de mettre au jour les qualités de cette maison. Même si, c’est exact, en maison 10 mieux vaut Albus que Testa Draconis. Au moins, on n’ajoutera pas la rigidité chronologique aux interminables couloirs du surmoi dont les divans sont tellement inconfortables qu’on se croirait Quai des Orfèvres.

             On en gardera cependant l’impression d’une occasion manquée, un rendez-vous impossible entre la loi et le juste.

             La Blancheur mate est celle du papier, de la toile vierge, des draps, de l’écran - ce qui constitue un support. Dans cette maison, elle témoigne de la difficulté à s’inscrire.
             La main du général reste longtemps au-dessus de la feuille sans tracer le premier mot, sa lettre partira trop tard, celle qui en était la destinataire aura déménagé
             longtemps au-dessus de la peau sans esquisser une caresse, elle prendra cela pour de l’indifférence, elle ne reviendra pas dans la garçonnière sous les toits de la rue Gambey.

             Dans l’Antiquité, lors du vote d’une assemblée, un caillou blanc signifiait qu’on approuvait la décision – pas qu’on en avait proposé une.

             Vous rappelez-vous la présence de Puella inattendue en maison 8, la Jeune Fille au double cœur apparue dans la maison de la sexualité et de la mort…
             Je crois (et m’en étonne) que le général doute des lignes directrices de son existence, de ses choix. S’il doute aussi de la grandeur militaire il ne l’a pas dit à haute voix, il le confie peut-être en maison 10 :

             le monde où j’ai vécu se défait, chuchote-t-il à celle qui l’accompagne dans la serre tropicale du Jardin des Plantes, le tissu qui l’enveloppait a trop servi, je vois au travers
             un enfant qui joue
             un chat qui rêve
             quatre pupilles vertes

             ma mémoire vous palimpseste

             la langueur qui me saisit a-t-elle votre voix ?
             suis-je encore loin de votre nom ?

             à ces mots la Jeune Fille s’enfuit

 

La maison 11

Dans la maison 11 prennent place les espoirs, les amitiés, les paroles, les flux, les réseaux, les champs de forces. C’est la maison du système nerveux et du web 2, le lieu des rêves partagés, des échanges jusqu’au petit matin, des projets communs qui font briller les yeux à grand renfort de Gaillac ou d’Irancy.

             La figure dans la maison 11

             La présence redoublée de Testa Draconis dans les maisons 5 et 6 donne - c’est inévitable - Populus, le Neutre, le Nombreux, en maison 11. La répétition géomantique engendre non pas de la répétition mais de l’indéterminé, de la masse.
             Cela et cela et cela et cela encore – sans fin.
             Vous, vous, vous et vous.
             Lui, lui, lui et lui.
             Etc.

             Du Via en miroir
             un miroir qui reflète du même.

             Votre conversation, cher Instin, vire soudain au ressassement, le ping-pong de vos répliques à l’embourbement. Est-ce l’heure tardive ? Votre langue semble devenir pâteuse et vos bons mots aussi effarés que les yeux des deux poissons rouges dans la baignoire.
             Choisissez un interlocuteur de taille, que diable !

             Cette figure-ci dans cette maison-là nous déprime, nous-même allons bientôt nous mettre à rabâcher…
             Rompons là, général !
             Et rendons-nous vivement dans la suivante.

 

La maison 12

Ah…
C’est en maison 12 qu’on apercevra – pour peu qu’on ait gardé assez de souplesse de muscles et d’esprit pour tourner haut le cou vers là-bas à droite - ce qu’on avait rêvé, espéré, deviné dans la maison des Neuf Mois.

Quelles traces on retrouve, dans son existence, de ce qu’on percevait d’une intuition organique et sans pouvoir l’exprimer, avant même de poser un pied dans le monde, en maison 1 - voilà qui intéresse le présent.

Et aussi : à quelles menaces, à quelles peurs se traduisant par des fuites, des autocensures, des inhibitions n’a-t-on cessé de se heurter ? Contre quel mutisme inexplicable n’a-t-on cessé de se bagarrer ?

Mères, filles, nièces, c’est ici ou jamais qu’on le saura.
Quelle figure empruntent les cauchemars ?
Quels animaux qu’on ne saurait apprivoiser craint-on : les rats d’Orwell et de Camus ? Hariman le dieu singe de Kipling ?
Quelles images masquait la loi dans la maison 10 ?


             La figure dans la maison 12

             Et justement revient Albus la Blancheur mate.
             Appelle-t-elle au secours ?
             Il semble que oui.
             La fragile carapace, la difficulté à s’inscrire insistent.

             (aparté
             Les lignées verticales donnent du fil à retordre, décidément. Les épisodes à couleur dramatique se succèdent, cela prendra-t-il fin avant la maison ultime ?
             Albus suivait Via, elle suit maintenant Populus – vraiment, les nièces ne sont pas de tout repos.
             Elles sont colère !
             Mais de quoi ? fin de l’aparté)

             Soyons figuratif : les gros animaux que craint le général sont ceux à fourrure blanche : ours, tigres royaux. Aurait-il entrepris des expéditions qu’il aura tenu secrètes ?
             Ah, c’était lui ! On ne l’avait pas reconnu derrière ses lunettes noires et sous son casque d’explorateur… Il portait une fausse moustache peut-être ?
             N’exagérez pas.

             Son sommeil n’affronte pas les images de ses cauchemars mais leur prémonition. Toujours le danger est sur le point de survenir, c’est cette attente qui le mine.
             Il donnerait cher pour se trouver face à un loup, un démon… il se battrait à poings nus, vous verriez avec quelle ardeur !

             Mais qui sait ce qui surgira du feuillage qui frémit dans le jardin d’hiver, du rideau transparent qui bat devant la fenêtre entrouverte, des lattes du plancher qui craque et se fend…

             L’imagination devient folle à projeter des prémices aussi maléfiques que Fortuna mayor aura été bienfaisante en maison 1.

18 mai 2010
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