Donne-moi ton enfance

« Je ne sais plus quand / J’ai rencontré mon corps », James Sacré


[@Le motif de l’enfance revient souvent dans la poésie de James Sacré. Et il n’est pas étonnant de le voir, aujourd’hui, lui consacrer un livre tout entier. Il le débute en demandant àl’un de ses amis marocains de lui dire ce que furent ses premières années, sà»r que cela déclenchera en lui de précieux souvenirs. Mêler (« Â par le moyen de poèmes  ») certains éléments de sa mémoire àcelle d’un autre, rattaché lui aussi, par ses origines, au travail de la terre et àl’habitude de vivre au dehors, dans des paysages familiers, l’aide non seulement àextraire certaines séquences passées mais aussi àles réinventer.

« Â Par quel effet de mémoire qui fabule
Entre charpie de passé et des mots qui me viennent
Est-ce que des couleurs de mon enfance
(Et comme si j’y touchais) se trouveraient soudain làdonnées
Parmi des gens que je ne connais pas  »

Cette approche, cette façon de remonter àla surface (du présent) des fragments anciens, en revisitant un visage, en se remémorant une couleur ou une odeur, en pensant, seul dans un champs d’oliviers àDar Belamri au Maroc, aux ormes désormais morts de Cougou en Vendée, est fréquente chez James Sacré. La fraîcheur de son regard et la capacité d’étonnement qui le caractérisent y sont pour beaucoup.

« Â En amont de l’enfance
Il y a d’où on vient, l’histoire et la nuit.  »

L’évocation de ses parents, l’ancrage dans le monde paysan et le lien qui le relie àses années fondatrices traversent ses poèmes sans jamais glisser vers la nostalgie. Il touche de simples parcelles de réalité et laisse ensuite son imaginaire, et son vocabulaire, et ses tournures de phrases, et cette scansion si particulière qui lui sert de tempo, travailler sur le motif. Cela ouvre, où qu’il se trouve, et sans même fermer les yeux, des images que l’on pourrait croire un peu jaunies et qui, tout àcoup, s’animent dans le livre, faisant se côtoyer diverses époques en un même élan.

Le père apparaît avec un bout de papier àcigarette collée sur la joue àcause d’une coupure due au rasoir. L’œil grand ouvert d’un cheval qui dort debout dans l’ombre d’une écurie étonne celui qui le croise ànouveau, cinquante ans plus tard. Le cartable en peau de veau (élevé maison) travaillé par le bourrelier du coin revient lever un coin du voile derrière lequel se trouvent l’école, le préau, l’orange de Noë l, les prés, la paille, les premiers émois du corps ... Le chien Bob se remet àgambader comme aux plus beaux jours. Et l’oncle Ernest n’est pas vraiment mort. En fait, c’est la vie qui passe, repasse.

« Â Le poème ne fait jamais
Que redire autrement (lignes, mouvement du phrasé)
Des paroles ressassées, et ce désir muet
Porté dans le vent du temps.  »

L’enfance qui flâne dans presque tous ses livres, James Sacré l’aborde également dans Parler avec le poème, riche recueil d’entretiens récemment publié (éditions La Baconnière). Il dit sa présence permanente tout au long du parcours terrestre de celui qui la porte en lui. Rien ne peut la faire disparaître. Il la compare ૠ un ami qui s’en va et qui est toujours un ami  ».

« Â Alors pourquoi l’enfance ? Je n’y cherche pourtant aucun secret qui serait une clef. Chaque fois que j’y porte mes mots c’est rien de plus simple ni de plus dense qu’un moment d’amitié aujourd’hui, qu’un travail àfaire pour demain, qu’un désir de mon corps tout àl’heure, rien de plus que le plaisir ou l’ennui tous les jours.  »


James Sacré : Donne-moi ton enfance, Tarabuste éditeur.@]

4 février 2014
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