État de Weil, "Le tapis des jours tous pareils"

1. LE TAPIS DES JOURS TOUS PAREILS.



Personnages : cinq femmes.



Les cinq en choeur :
En entrant dans la Maison, un rôle vous est attribué.


1 : Ce

2 : rôle

3 : représente

4 : un

5 : maillon

1 : de

2 : la

3 : grande

4 : chaine

2 : qui

5 : permet

1 : de

4 : transformer

2 : le

3 : tissu

5 : en

1 : vêtement.


La machine commence à tourner, de plus en plus vite, de plus en plus vite, jusqu’à l’erreur, jusqu’à la panne, puis elle s’arrête. Rires. Puis sonnerie.



4 : Les machines nous attendent.


3 : Les tissus sont en place.


2 : Les pantalons à assembler


1 : Les vestons à monter.


5 : Rien n’a bougé depuis hier.


5 : Les néons s’allument.


3 : Le chas de l’aiguille est toujours à la même place.


4 : Le fil toujours de la même couleur.


2 : La lanceuse appuye sur un bouton,


3 : Et les tapis se mettent en route.


2 : Comme hier.


5 : Comme toujours.


La machine recommence à tourner, accompagnée maintenant de mots. A chaque geste, un mot.


Les cinq en choeur :

Chaque

Chaque poste

Chaque poste a

Chaque poste a son

Chaque poste a son importance

Chaque poste a son importance et

Chaque poste a son importance et conditionne

Chaque poste a son importance et conditionne chaque

Chaque poste a son importance et conditionne chaque poste

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4 : Pause déjeuner. ¾ d’heure pour manger.


La machine s’arrête.

L’un allume une cigarette. L’autre se couche par terre.

Détente.



5 : La chaine, elle s’arrêtait entre midi et deux, mais sinon ça tournait, ça tournait sans arrêt.


2 : Faut que ça tourne ! Faut que ça tourne ! Qu’il disait, le chef, sans arrêt. J’en rêve encore.


4 : C’était des grosses machines, comme ça. Plusieurs fois, je me suis pris l’aiguille dans le doigt. Fallait faire gaffe.


1 : On prenait le pantalon, on le piquait et on le donnait à la dame d’â coté. Et un autre pantalon arrivait et ainsi de suite, et ainsi de suite, toute la journée ainsi de suite.


5 : Sauf quand la chaine tombait une panne.


Rires.


3 : Quand on en avait trop marre, on la mettait en panne. On avait un truc tout simple, on mettait l’aiguille à l’envers. Du coup, le fil cassait sans arrêt. On disait à la lanceuse :

Faut que t’arrête, le fil casse sans arrêt, faut appeler le mécanicien !

Le mécanicien, il mettait un quart d’heure avant d’arriver, on remettait l’aiguille dans le bon sens juste avant qu’il arrive, et comme ça, on avait gagné un quart d’heure.


5 : Ou alors on coinçait les tapis, mais ça, faut peut-être pas le dire ?


3 : il n’y a plus de tapis maintenant, il n’y a plus d’usine, il n’y a plus personne.


5 : C’était des rouleaux en acier, et dessus il y avait le tapis en caoutchouc. On coinçait un pantalon entre la barre d’acier et le tapis, et il patinait, il patinait, alors on disait à la lanceuse :

La chaine, elle avance pas, le tapis n’entraine plus, faut appeler le mécanicien !

On arrêtait avant que ça fume.


Rires.


3 : On était tous jeunes.


4 : Un atelier de


3 : Que des jeunes.


5 : On était vraiment les euh Comment on pourrait dire ?


1 : Les bêtes de somme ?


5 : Non les


2 : Les petites mains ?


5 : Oui les petites mains.


2 : Il y avait les cols, les revers


1 : Les doublures


4 : Les boutons


3 : Les jambes


1 : La ceinture


3 : Le recto


4 : Le verso


1 : Les manches


2 : Les poches


5 : Les passe-poils


3 : Les braguettes


4 : Le thermocollant


1 : Qu’est-ce qu’il y avait encore ?


2 : Ben, tout le déroulement du pantalon quoi, toute la trame du veston, on en faisait 300 par jour.


4 : 400


1 : 600


4 : Beaucoup.


2 : C’était dur mais j’ai de bons souvenirs quand même. On était jeunes.


4 : J’ai encore une copine de là-bas mais il y en a deux qui sont mortes. La roue tourne.


2 : Faut que ça tourne ! Faut que ça tourne, qu’il disait le chef. Comment il s’appelait déjà ? Il braillait tout le temps.


1 : Le jour de ma première paye, j’ai pleuré toute la nuit.


3 : On était payées tous les quinze jours, en liquide, le vendredi soir.


1 : J’arrivais pas à comprendre qu’ils m’aient payée si peu, vu l’effort que j’avais fait. Il me semblait que j’avais tellement travaillé.


2 : On avait une prime d’assiduité, tous les mois. Si on était à l’heure, c’était 30 francs.


1 : Et il y avait aussi la prime production.


2 : Tous les soirs, le compteur était relevé.


1 : Si on faisait pas notre production, s’il y avait 250 vestes au lieu de 300, la prime production vous filait sous le nez. Fallait faire notre production.


2 : Faut que ça tourne ! Faut que ça tourne ! Mais comment il s’appelait, le gros ventru, là, celui qui gueulait sans arrêt ?


4 : Fin de la pause ! Tu te souviens quand il braillait : fin de la pause !


La machine redémarre.



1 : On en était où ?


2 : On en était à : Chaque poste a.


3 : Lequel ?


4 : Toujours les mêmes gestes. Toujours les mêmes mots.


5 : Plus on répéte l’opération, mieux on sait la faire, et moins il y a de défauts.


Tous en choeur : Chaque poste a son importance et conditionne chaque poste a son

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Chaque poste a son importance et conditionne chaque poste a son importance et conditionne le bon fonctionnement de l’entreprise.


La machine s’arrête.



2 : On en a fait combien ?


3 : C’est bon. Le quota est respecté.



1 : À demain !


5 : À demain.


Tous en choeur  : Et ainsi de suite.



Violaine Schwartz

17 avril 2017
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