Fictions beyrouthines et autres citadines (17)
XVII
Lisa quitte le balcon et sent qu’il manque quelqu’un, un visage, une façon de se mouvoir qui lui ressemble, une femme comme un miroir, une sœur différente et toujours de son parti quoiqu’il arrive. Il est midi et le temps d’être seule avec la ville, le soleil et le monde s’achève parce que Shérine rentre d’une nuit ailleurs avec sa fatigue radieuse et ses cheveux déployés. Elle prend Lisa dans ses bras et c’est une sorte de victoire, une exultation de vivre qui les envahit toutes deux, une certitude de vivre et de mourir, de vivre oui. Le téléphone sonne mais elles ne répondent pas et elles se racontent deux ou trois anecdotes, réflexions sur la façon dont il faudrait conduire leur vie.
Puis elles se taisent et vont et viennent d’une pièce à l’autre comme pour laisser en elles se transformer les paroles, les nuits et ce dimanche matin à Beyrouth. Il y a toujours quelqu’un dans leur cœur à l’autre bout du monde, un frère à Dakar, une sœur à Montréal, un fils à Paris ou à Jérusalem, une fille à Barcelone, une mère à Vancouver, un père à Cincinnati. Vivre à Beyrouth signifie ne pas vivre à Beyrouth. C’est pourquoi il y faut tant d’amour, de soleil et de rêve, de nuit d’orage et de pluie torrentielle, de colère et d’émerveillement malgré la catastrophe.
Les moineaux et la lumière s’accordent désormais avec l’après-midi naissante.
Comment se tenir un dimanche matin à Beyrouth même, dans sa seule pensée ?