Marie Cosnay | "Chez Ovide, les identités sont feuilletées et feuilletables"

Marie de Quatrebarbes : Quel a été ton premier contact avec Les Métamorphoses ?

Marie Cosnay : Le premier ça a été sans doute les études de lettres mais les souvenirs sont flous… Un autre premier ça a été la tête d’Orphée, que les femmes avaient arrachée, cette tête qui continuait à chanter… Un autre premier ça a été la traduction mot à mot et patiente avec mes élèves de certains passages des Métamorphoses. Danaé, Narcisse.
Et enfin le grand premier contact ça a été il y a dix ans (ou à peu près), les livres 10, 11, 12 des Métamorphoses sont au programme des Terminales littéraires, en français, dans une traduction qui n’en est pas. Je traduis pour les élèves que je connais ces trois livres. Puis je poursuis.

Maël Guesdon : Comment est né ton désir de traduire Les Métamorphoses ? Et comment t’es-tu organisée pour mener ce travail qui s’est étendu sur une dizaine d’années ?

Marie Cosnay : C’est arrivé par les petits. Par les petits élèves avec qui je traduisais sans savoir que je pouvais traduire. J’ai adoré ce que fabriquaient ensemble nos langues, celle d’Ovide qui nous échappait, évidemment, et nous échappe encore (joyeusement) et la mienne, qui ne m’échappe pas moins, composée de toutes celles que je ne parle pas hélas mais qui ne sont pas loin, sont passées par là.
J’ai pris mon temps ! Dix ans. Petit à petit.
J’avais besoin que ça ne cesse pas.
Carmen perpetuum, comme dit Ovide.

Marie de Quatrebarbes : La question politique traverse tous tes romans et textes d’intervention. Quel est, pour toi, l’enjeu politique d’un tel projet ?

Marie Cosnay : La question de l’identité, à dire au pluriel. Chez Ovide, les identités sont feuilletées et feuilletables, fonctions, genre, origines, quoi encore. Elles varient sur la ligne du temps qui est le nôtre, un temps limité - ou qui semble l’être. Nos identités sont fortes, néanmoins, de choses apprises, auxquelles on a donné du temps, fortes de nos efforts, passions, émotions. Nous savons quand on nous en arrache une qu’elle nous manque. Ma langue, mon village. Parfois on en met une de côté, on désire en conquérir de nouvelles, on peut le faire, on a la joie de le faire, on peut se contredire, on peut se déplacer sur l’escalier mobile de nos identités et on peut aussi déplacer nos identités. On peut les ignorer. Croire en être vierge. J’en ai quelques-unes, récentes, auxquelles je ne me croyais pas disposée. J’en ai acquis d’imparfaites, de nombreuses, parfaitement bancales, désordonnées. Je joue d’elles et entre elles. C’est parfois difficile, un écartèlement, un inconfort. Si une identité nous fige, pour reprendre un verbe qu’on trouve souvent chez Ovide, c’est un malheur. Si je suis français à l’exclusion de toute autre chose, si je suis français sans être en même temps couturière, père, bon camarade, professeur des écoles, musulman, si je suis français d’abord et point final, la souche n’est pas loin et je voulais, en cette décennie où je traduisais Les Métamorphoses, fuir dare-dare les souches. Si je sais déjà ce que je suis, si je dis ce que je suis, avec un article et un nom, une fois pour toutes, c’est fini, c’est faux, c’est un mensonge ou une obsession. En tout cas, c’est un malheur. Un malheur comme quand l’épée ou la lance fiche un corps, chez Ovide. Une triste répétition. Une de celles qu’on retrouve tout au long des quinze livres des Métamorphoses. Au livre III (vers 90-93), Cadmus agit contre le serpent :

« Alors le fils d’Agénor presse, pousse jusqu’au bout
le fer dans la gorge : un chêne arrête
le serpent qui recule, sa nuque est fichée dans le tronc. »

Plus loin, Persée doit se battre pour Andromède qu’il a sauvée et cru gagner.

« (…) va chanter la suite chez les Mânes
du Styx », dit-il. Dans la tempe gauche il te fiche l’épée.
Le chanteur tombe, de ses doigts mourants touche
les cordes de la lyre et voici le pauvre chant qui chute. »

Chaque fois qu’on fiche, qu’on fixe, qu’on fige, c’est la mort, chez Ovide. C’est à cette mort (tempe percée par l’épée, fer dans la gorge, finis le chant et la vie), qu’on essaie toujours d’échapper.

Maël Guesdon : Ce livre est paru aux Éditions de l’Ogre chez qui tu as déjà publié deux romans. Comment les éditeurs ont-ils accueilli ce projet et comment avez-vous travaillé ensemble sur le livre ?

Marie Cosnay : Merveilleusement bien ! Ils ont fait un boulot incroyable, admirable, qui me touche beaucoup. Ils ont accompagné le travail et les corrections dans un grand respect et avec une belle exigence, ils ont posé des questions qui ont permis d’éviter de petites bêtises. Merci, merci. Ils ont lu Ovide comme on lit un roman, une épopée contemporaine et ils le défendent comme ça. Comme ils défendent toute la littérature qui interroge le réel, le densifie, le multiplie.

Marie de Quatrebarbes : Maintenant que ton travail de traduction est terminé et que le livre existe, comment as-tu envie de poursuivre et d’accompagner cette nouvelle traduction ? Auprès de quel public et sous quelle forme ?

Marie Cosnay : Auprès de tous les publics, j’espère bien. Je pense vraiment qu’Ovide est lisible, lisible par tous. Ce serait très bien qu’il y en ait des lectures ! Je vais aller dans les collèges et les lycées, avec. C’est avec eux, les petits, pour eux, que j’ai commencé.

 

(Publius Ovidius Naso) Ovide
Les Métamorphoses

Traduit par Marie Cosnay
Taille : 165/218 mm - 528 p. - 25€
ISBN : 979-10-93606-99-6
Plus d’information sur le site des Éditions de l’Ogre : http://www.editionsdelogre.fr/books/view/-Publius-Ovidius-Naso--Ovide-Les-Metamorphoses

1er octobre 2017
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