Fictions beyrouthines et autres citadines (21)
XXI
Il marche vers Bachoura et s’enfonce dans la ville. Il a cessé de chercher à comprendre, il a quitté l’idée de cause.
Quand, dans sa promenade maladroite et ses pensées aigües et désordonnées, il lève les yeux sur la ville, lui revient le vers d’un poète nommé Nicole Cal qui disait : « C’est la nuit qui fait les lumières. Hélas. » Il le chantonne dans le paysage nocturne et clignotant, le répète en ritournelle, bientôt comme une injonction au ciel et à la ville ; et tout le chagrin qu’il met à crier Hélas le libère d’une peine qui se dévide sans cesse, qui coule sur la rue d’une source intarissable, son corps dans l’obscurité et les dernières lumières. La douleur est un être qui se régénère et se nourrit de nostalgie.
Ramzi arrive au bas de l’immeuble, la maison n’est qu’un appartement vieillot empli de livres et des contes qu’il rapporte ainsi de ses voyages beyrouthins, toutes ces idées entremêlées et géniales qui s’assoupissent dans ses yeux. Il faudrait dormir pour ne plus penser. Mais les rêves le ramènent forcément entre deux mondes, celui de la lumière sur les orangers et celui d’un cachot souillé de son sang.
Comment se tenir dans le rêve, seul et sans peur ? Comment accorder la lumière et l’obscurité ? Comment vivre le jour après la nuit, la nuit après le jour ? Comment se tenir dans la vie sans cause ni conséquence ?
Ramzi ouvre un livre, l’histoire d’un homme qui n’en finit pas de descendre vers la mer, une image éternelle. Ce n’est ni une peinture, ni un film. Un homme descend la rue de Syria pour toujours dans un seul mouvement et la Méditerranée l’attend dans la lumière.