Fictions beyrouthines et autres citadines (15)

XV


Les chacals et les hyènes rient dans la montagne vers Zahriyé. Ils sont comme des enfants tapageurs invisibles sur les abords du village le soir. Dans les chambres de la maison, on éteint les lumières et on les écoute. Des odeurs de terre mouillée parviennent jusqu’à Marie qui se blottit sous une collection de couvertures. Elle ressent un sommeil profond venir dans tout son corps. Beyrouth est loin, à deux vallées de là, Beyrouth, son tumulte, ses misères et ses strasses.

Un peu plus tôt, quelques verres de ksara blanc ont embrumé les esprits. Les radis doux et les tomates dans l’huile d’olive, le pain, le thé, tout a été goûté. La conversation fut sans nuance parce que ce que chacun devait se dire était féroce dans la nuit qui arrivait. On ne se sépare pas des ancêtres, leurs croyances, leurs combats. C’est encore leur aujourd’hui. Avant d’aller dormir, Samir dit nous sommes des âmes flottantes. Omar a pris la main de Shérine.

Dans les rêves de Marie, il y a un fleuve, des prairies, des maisons blanches. Ceux de Samir sont dans les montagnes enneigées vers le nord du monde. Shérine court dans la steppe. Omar marche dans la ville la plus haute. Les âmes flottent sur le monde. Les âmes d’un druze libanais, d’une musulmane chiite africaine, d’une chrétienne belge et d’un palestinien de New York dorment dans la maison du Mont Liban.
On désire toujours être ailleurs, on voudrait tout aimé, tout sentir. Les cœurs flottent sur les chacals et les hyènes qui s’approchent des hameaux et des jardins. Les peurs et les massacres ont déserté. Le silence enfin se fait vaste ; les animaux veillent sur les étoiles le temps d’une nuit.

Comment fait-on l’amour entre deux pays ?

8 mai 2011
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