Fictions beyrouthines et autres citadines (8)
VIII
Comment se tenir précisément sur le bord oriental de la Méditerranée ?
Charbel attend Kamila en faisant les cent pas sur le pavé, son téléphone portable à l’oreille, répétant : Non, non. Il se tourne vers le rivage, ne le voit pas. Il ne sait pas plus la silhouette de la femme qui vient vers lui.
Kamila sent le tremblement de son ventre comme une menace soudain, et là, quand elle voit l’homme aller et venir comme une bête en cage, elle pense à prendre le chemin inverse et s’en retourner, s’en détourner et ne le fait pas. Elle se heurte à son envie d’en savoir plus, jusqu’où tiendra-t-elle ?
Charbel la prend par le bras et l’entraîne dans le bar d’un hôtel où l’on joue une chanson de Franck Sinatra. La musique et la moquette effacent l’Orient. Quand il s’est assis, Charbel regarde autour de lui puis il parle : il s’en est passé des choses ici pendant la guerre. Ils savent l’un et l’autre que ce sera la seule phrase.
Ils gardent leurs secrets, ceux qui persistent dans la poussière, dans le silence après la bombe. Mais à sa propre surprise, Kamila esquisse des mots qui glissent, sentence qu’elle assène avec beaucoup de douceur, quand donc les hommes et les femmes seront-ils délivrés les uns des autres ?
Ses gestes, celui de porter le verre à sa bouche, celui d’accrocher une mèche de ses cheveux et de regarder vers le patio sans voir quoique ce soit, puis le mouvement d’une jambe qu’elle ramène vers l’autre, le soupir même qu’elle ne retient pas, tout dit que sa place n’est pas là. Et c’est précisément quand l’esprit de Kamila s’absente que Charbel la voit. Il pense encore une fois il faudrait la peindre maintenant pour garder éternellement ce visage qu’il contemple souvent comme un tableau italien.
Comment se tenir sur une toile ?
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