Fier d’être Français (venu de loin)

Abdourahman Waberi nous communique ce texte, et nous découvrons tout soudain un côté ignoré de notre beau pays.

La France marche encore à la couleur de la peau, il faut croire.

Contrepoint salutaire : visiter le site d’Abdourahman Waberi (on peut lui écrire).

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De l’intégration ou « Français venus de loin » : les Apaches à l’Assemblée nationale

par Abdourahman A. Waberi

Le 11 décembre 2004, citoyen ordinaire et sans histoires, je me suis retrouvé, par-devers moi, dans une grande cérémonie, organisée par le Haut conseil à l’intégration dans le saint des saints de notre République : l’Assemblée nationale. Le but : célébrer les lauréats ayant « obtenu une Voie de la réussite dans le cadre des prix remis lors du forum de la Réussite des Français Venus de Loin ». La phraséologie ampoulée et l’emploi des majuscules de majesté sont de la main même de la présidente dudit Haut Conseil. On nous promet une fête mémorable, civique et responsable, arc-boutée sur des nobles motifs : « Cette manifestation a pour objet de récompenser des personnes, de nationalité française issues de l’immigration, et s’étant distinguées par un parcours professionnel, une initiative ou une oeuvre prometteuse... Elle permettra ainsi de rendre hommage aux succès, incontestables mais trop souvent déniés ou passés sous silence, des Français venus de loin ». La présence du président de l’Assemblée nationale lui-même, Mr Debré, accompagnés de plusieurs ministres et sous-ministres et le déplacement d’une brochette de très grands patrons dont Claude Bébéar d’Axa mais également les PDG de Renault, d’Accor, de France Télécom, du groupe Lagardère, de la Caisse des Dépôts et Consignation, de la Française des Jeux, de Fimalac et autres AGF devaient nous enlever toute appréhension. Mieux, tout cela devait nous convaincre de l’intérêt du monde politique et économique à notre endroit - à nous autres Français venus de loin.

Concrètement, il y eut des débats, une grande campagne de presse et une remise de prix. Une foultitude de prix décernée dans divers secteurs (prix du civisme, de l’entreprise, de l’action sociale, de la littérature et sciences humaines, des médias, du sport etc.). Des grands aînés sont convoqués à titre d’exemple (comme Rachid Arhab) et pour nous rassurer. Hélas, trois fois hélas, la fête a tourné au cauchemar : on a confondu allégrement les lauréats qu’on prétendait célébrer et honorer. On a écorché prénoms et noms. On a invité sur l’estrade le scientifique en lieu et place du sportif. On a accroché sur le poitrail de Mouloud la médaille destinée à Mourad. A peine invités sur l’estrade, les lauréats sont déjà pressés de descendre rejoindre la foule. Foutage de gueule sur toute la ligne. Et tout cela, à plusieurs reprises. Il y avait pourtant là que des gens méritants et bien propres sur eux (officiers, chercheurs, travailleurs sociaux, sportifs, couturiers...) et non des mendiants ou des candidats à je ne sais quel programme d’intégration. Pour ne pas faire uniquement dans les bronzés, on a appelé à la rescousse quelques affidés médiatiques (Claude Berri, par exemple, qui s’en étonna et rappela qu’il est né au Faubourg St Martin et..., ça c’est moi qui ajoute, non à Agadir, Blida, Cotonou ou Tombouctou !). Un français à la peau noire, tout en muscles, et ceint du drapeau tricolore (tous les Noirs sont danseurs of course !) exécuta des entrechats avant de se prosterner devant une Marianne à la peau albâtre (chanteuse d’opéra ou quelque chose comme ça). Des frissons me parcoururent le dos. Je n’étais le seul à avoir des démangeaisons.

Le clou de la soirée fut pour les cameras de la télévision publique : Isabelle Adjani, gardée au secret tout au long de l’après-midi et mieux reposée que nous tous, fit une entrée remarquée. Elle versa des larmes, la voix étranglée. Ses propos étaient incohérents, troués de reniflements. Qu’à cela ne tienne : une minute au journal de vingt heures, c’était le but recherché. La fête est finie, on passa au salon d’à côté pour un verre et ouste tout le monde dehors.

Ah, j’oubliais de vous dire, les hochets et les médailles étaient en chocolat, la République est généreuse mais pas folle, nonobstant la mobilisation des grands patrons !

Je ne vous aurais pas conté cette histoire tragi-comique si Mme Blandine Kriegel, présidente du Haut Conseil à l’Intégration auprès du Premier Ministre, ne m’a pas envoyé, récemment (1), un papier Canson à deux centimes d’euros et portant la mention « La Réussite des Français venus de loin ». C’était donc que ça mon diplôme « Voie de la réussite du prix de la littérature et des sciences humaines » après ma médaille en chocolat. Je vous rappelle donc que je suis, selon Mme Blandine Kriegel, le Français venu de loin le meilleur dans cette double discipline juste après... Edgar Morin (et oui, il avait décroché le hochet !). En conclusion : on ne se méfie pas assez des gens qui vous veulent du bien. A cette aune, ce n’est plus de l’amour mais de l’acharnement !

Abdourahman A. Waberi, Mardi 15 février 2005.

Ecrivain et Voie de la réussite du prix de la littérature et des sciences humaines 2004.

(1). Le courrier daté du 28 janvier 2004 ne m’est parvenu que cette semaine. Il a dû passer, peut-être, par Djibouti qui m’a vu naître.

20 février 2005
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