Frédéric Lefebvre | Hommage à Pierre Pachet
De Frédéric Lefebvre, lire Pachet : Le père, l’individu, le livre.
Pierre Pachet a été l’un des fondateurs de En attendant Nadeau qui lui rend hommage.
C’est la phrase d’un enfant, que retient Pachet quand c’est son tour de célébrer, de rendre hommage à un ami. L’ami s’appelait Georges Perros.
Pachet fait lire une page de Proust à un enfant. L’enfant : « Un type comme ça ne devrait jamais mourir. »
Pachet est triste parce qu’il a perdu un ami, un ami de Bretagne, du bout du monde, caché, cabossé, douloureux, génial.
Un ami qui avait travaillé au théâtre avec Vilar, avec Gérard Philipe, pensez-vous !
Pachet en a fait un jour une sorte de sacrifié, de chassé, de victime émissaire du grand jeu cruel de la concurrence, du succès littéraire, de Paris. De la jalousie des égaux – dans la grande thèse de René Girard, un autre ami de Pachet.
On est dans les années 1970.
Michel Foucault, Michel Serres – ce sont des noms tout de même – ont quitté l’université de Clermont-Ferrand, Pachet y arrive.
Il n’a pas de thèse, rien. Pas d’agrégation.
Il est souple et agile dans une tête bien faite. Il va enseigner le grec. Le vieux grec. Celui de la langue à monosyllabes qu’il aime bien. Comme l’anglais.
Ah ! l’anglais… Il l’adore.
Et l’allemand, le russe, l’italien…
Pachet est un multi-lecteur.
Il habite alors Orléans, puisque c’est à mi-chemin de Paris et Clermont-Ferrand, c’est évident.
Ah ! les goûters enfantins d’Orléans ! Dévorer la tarte amoureusement, maternellement confectionnée par Soizic, sa femme… C’est savourer et dévorer le temps, lentement, à bonnes bouchées.
Rien de plus fantastique et impossible, inconcevable que le temps !
Qu’il y ait en même temps des vieux, des jeunes, des déjà-là et des pas-encore-partis. Qu’il y ait encore le grand saint Augustin à lire, La Cité de Dieu ou quelque chose comme ça…
Le temps de vivre.
Vivre, aimer, penser, c’est le temps.
L’amour c’est le temps, L’Amour dans le temps.
Pachet dans les années 1970. La peur arrive, se déplace, grandit, rejoint plus franchement les peurs d’enfance. « Je n’ai jamais perdu le contact avec mes peurs d’enfance », dit Pachet un jour dans une conférence.
Il me parle de ses colonies de vacances d’enfant.
Il me demande où j’ai appris à écrire.
Il me demande si je viens là parce que j’ai envie de coucher avec lui.
Il me demande comment je vais gagner ma vie, comment je la gagne, comment je vais me faire soutenir et porter littéralement au succès à telle candidature dans telle institution où je suis candidat.
Il me demande – dans les années 2000, au début, il est à peine veuf – si je suis comme lui, « timide et orgueilleux ».
Et puis la vie reprend le dessus.
Et puis il se met à me parler des exposés, des articles, des projets, du temps de plus en plus serré et il aime ça, il me cite je ne sais plus qui sur les chats : « Les chats aiment être à l’étroit. »
Il me semble qu’il aime être à l’étroit dans le temps.
Jusqu’au bout ? Je ne sais pas.
Il y a longtemps que nous nous écrivons, que je ne monte plus l’escalier jusqu’à son premier étage.
Maintenant il écrit sur les visages chinois de sa rue Chapon, c’est beau.
J’apprends qu’il va en Chine, qu’il en revient, il a je ne sais combien d’années de vie derrière lui, et des petits-enfants, des choses comme ça, c’est beau.
Je me fatigue à essayer de le citer, d’enfiler des citations pour colorier des pages qui s’ajouteront à d’autres et, en broche, en collage, fabriqueront un livre.
Je n’y arrive pas.
Il me semble qu’il y a un attentat près de chez moi, lui me répond : « Est-ce le mot ? »
Un jour de janvier 2015.
Dernier échange.
Je vais pour relire des notes, des gribouillages d’il y a une quinzaine d’années, conversations notées, idées, envois…
Je ne me souviens de rien.
Il m’a montré des photos de sa famille, de sa fille, son fils et ses enfants, tels amis jeunes, tel ami que je lis par ailleurs… Je ne me souviens de rien.
Je voudrais le décrire. Lui savait décrire.
Un exemple, dans un texte retrouvé, dans ses propres notes d’autrefois, des années 1970 : « Myles affiche son origine populaire, ses mains rouges d’ouvrier aux ongles courts et sales, ses pull-overs troués qui ne font pas étudiant, sa chevelure, sa bouche de footballeur anglais, incurvée à contre temps en son milieu. Il y a en lui de la force, on s’écarte quand il intervient, par confiance que s’il le fait, et s’il insiste, c’est qu’il a décelé dans ce qui vient d’être dit une faille, "a flaw", une paille qui va permettre, lui permettre, de remonter à l’origine du malentendu… »
On abandonne après ça le projet de le décrire.
Sa fille Yaël l’a fait très bien, je pense.
Je retrouve, un peu étonné, une sorte de description :
Gestes de l’écrivain
Geste pour éteindre le poste
quand la radio se met à parler
Geste pour se tourner de côté
au moment de dire son jugement
Geste des mains sur la figure
pour dire l’ennui
Geste de la bière qui coule
et des noix de cajou qui consolent
Geste pour contenir le mérite
inscrit en caractères dans la revue
Notation énigmatique et fraîche, du 2 décembre 2000. Là, Pachet est vivant.
J’ai cité « Avant souvenir ou étude » (NRF, n° 308, 1978), « L’avenir de la peur », in P. Debailly et F. Dumora, dir., Peur et littérature du Moyen Age au XVIIe siècle (Textuel, n° 51, 2007), « Cinq rencontres à Oriel College, Oxford » (Agenda de la pensée contemporaine, n° 19, 2010). Et fait allusion à Yaël Pachet, « Il a de belles lèvres » (Les Moments littéraires, n° 18, 2007).
Pierre Pachet est décédé le 21 juin 2016 à Paris.