Grenier(s) en plein air

(Et la souris opéra.)

Le parfum d’un livre ancien peut se retrouver au coin de la rue : les « vide-greniers  » transportent en plein air leur lot de bricoles inattendues, d’objets parfois animés, de transistors au nom toujours magique, de jouets rouillés, de vélos àcol de cygne et sans dérailleur.

La poussière qui recouvrait les Å“uvres complètes et reliées d’Alexandre Dumas, ou le dernier pavé de Maurice Druon, est dispersée par la pluie en lever de rideau. Soudain, il n’y a plus de toiles d’araignée.

Les étals àmême les trottoirs exposent, sur leur couvertures usagées, le bric-à-brac qui vient sans doute plutôt des caves que des greniers ; les appartements de ville ont scellé la disparition de ces lieux mystérieux où dorment des baigneurs en celluloïd, systématiquement énucléés.

Piles de livres en équilibre, de guingois, dépareillés, rose pâle ou bleu défraîchi : ils s’entassent en espérant un nouveau lecteur vierge et vivace. C’est le livre qui exprime ici une supplication muette : tourner ses pages lui apporterait sans doute une forme de résurrection, d’ascension de la dernière chance.

Les passants marchandent avec les vendeurs d’occasion : je reconnais une femme médecin du haut de la rue de la Grange-aux-Belles. Mais pas de stéthoscope au rabais ! Un murmure permanent de voix s’élève dans la rue, comme une musique de basse continue, « Callas street  » ou Marie et Louise (un groupe de rock amateur viendra jouer vers midi).

Les gros objets sont nommés « les encombrants  », un service municipal passe les enlever tel ou tel jour. Mais les petits objets exposés ressemblent aux décombres de la mémoire : lampes, bibelots, photos encadrées, encore des livres, on les donne plus qu’on ne les vend, on les cède au moins offrant ou au plus sympathique.

Ce potlatch urbain se déroulait dimanche 21 mai. Mais je n’ai repéré làaucun livre de Jean Grenier, de Roger Grenier, de Christian Grenier ou de Pierre-Autin Grenier : ils étaient vraisemblablement restés cachés dans une vraie soupente, ailleurs, peut-être hors la ville ?

27 mai 2006
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