Je cherche quelque chose…
Aujourd’hui, lecture d’un passage du livre de James Agee : Louons maintenant les grands hommes, avec 62 photographies de Walker Evans, 1941 [1].
Dans le tiroir de la table, dans l’ordre ci-après :
L’odeur de pin sur un insecte délicat, comme une transpiration d’étoffe qui vous saute au visage, une impression de moisi.
Une robe de cérémonie pour un bébé, longue à l’étouffer, de la mousseline très frêle, avec trois rangs de petites fleurs blanches, en fil de coton. Deux bandes de dentelle, fine quoique bon marché, garnissent le bas. Ce vêtement a été cousu à la main, à petits points laborieux. Il est plié, mais non repassé, et sa propreté laisse un peu à désirer.
Une robe de bébé unie en coton blanc ; déchirée, en quenouille, faite à la main, sans trop de soin, et pliée.
Une autre, unie également, si ce n’est qu’on y voit des reprises roses aux poignets. Déchirée, non repliée.
Une autre, avec un motif de carreaux bleu-gris, assez effacée maintenant, sur fond blanc. Les silhouettes, assez effacées aussi, de lapins jaunes, ont été cousues sur le devant, avec du fil rose.
Une poupée de chat faite à la maison, d’une étoffe d’un bleu presque mat. La queue, bleue aussi, ne tient presque plus. Les détails significatifs (les yeux, etc.) ont été cousus dans l’étoffe, au fil noir.
Un grand chapeau de paille, les bords durs, la calotte douce. Les bords cassés en plusieurs endroits. Le feutre taché s’effrite. La calotte est dorée, de peluche peu fournie ou du velours le meilleur marché. Le ruban est large, c’est un tartan écossais, un motif soyeux où s’entremêlent reflets perle et reflets orange. Aux extrémités du ruban, des raies blanches avec à leur bordure un filet d’or. À l’intérieur du chapeau, le pourtour est garni d’une doublure de deux à trois centimètres, avec un motif de brocart. Sous les bords, du coton mercerisé de couleur claire, marqué en un endroit au crayon indélébile. On devine une trace de collure à travers une déchirure. Le travail d’aiguille pour faire tenir le coton mercerisé a été travail de patience et de dévouement, et on le remarque à peine. Le chapeau est en piteux état, à moitié moisi, machin à bout.
Une boîte de talc du docteur Peters Rose ; bleue, elle a quatre côtés et est plus haute que large ; elle est vide, à part un objet dur qui bringuebale à l’intérieur. Une odeur assez comme celle des déodorants dans les toilettes des théâtres.
Une robe de bébé à petits damiers roses et blancs.
Une robe de bébé en loques. Des reprises en coton mercerisé bleu.
Un gant d’enfant en coton marron, la main droite. Il y a un trou au bout de l’index.
Un hexagone de nouvelles parues dans le journal, découpé avec des ciseaux.
Les deux parties d’un bouton cassé.
Un petit crochet noir.
Un autre petit crochet noir.
Dans les recoins du bois pâle et montrant ses paumes, une fine poussière grise, et une poussière plus drue, brune, inidentifiable.
Dans une petite cassure, au fond du tiroir, brille une petite aiguille, orientée au nord, comme au-dessus d’elle le cygne.Auparavant nous avons regardé les affiches d’expositions du photographe August Sander et du plasticien Jean Le Gac : deux artistes de cirque retravaillée dans son laboratoire par le photographe (valeurs des noirs et des blancs, cadrage, etc.) ; la mise en scène ironique d’un peintre partant travailler « sur le motif ».
Voici les textes écrits pendant l’atelier :
Tiroir métallique
Au sommet d’un bureau en fer forgé se trouve un tiroir secret où s’empilent et s’empalent des souvenirs sur papier jauni. Des dizaines d’agrafes y sont répandues, victimes de mouvements trop violents. De nombreux tickets de bus s’étalent dans tout le compartiment – comme figées, inertes et oubliés. Ils datent de mon enfance quand j’étais le seul propriétaire de cet environnement. Une pièce de cinq francs attend son propriétaire à l’entrée nord-est du tiroir, la face est en apparence visible, on distingue la date marbrée -1995.À travers le siècle
Il y a dans cette pièce une grande armoire en acajou verni qui ouvre directement sur le passé de ce siècle.
Il y a une clé dans la serrure, une clé en métal et assez grande et tordue.
J’ouvre la porte, une odeur de vieux bois et de lavande envahit la pièce.
Le grincement de la porte émet un air de Jacques Brel.
Il y a une penderie qui offre des objets de valeur, un uniforme de qui a servi pendant la guerre d’Indochine, il est abîmé.
Un gilet crème tricoté avec de la vraie laine de mouton.
Une robe de cabaret, colorée et pailletée digne des années 40.
Je tire le tiroir : de vieux journaux, il y a même une édition du Figaro paru en mai 1968.
Il y a une boîte rectangulaire, une boîte de chocolat Ovomaltine, dedans il y a des photos qui m’emmènent encore plus loin dans le passé, des photos en noir et blanc devrais-je plutôt dire en noir et gris. Elles datent de 1925. Les visages me fixent, ils veulent me dire quelque chose mais je ne comprends rien.
Ce bois empêche la lumière de pénétrer et de révéler tous ses secrets.
Je cherche
Je cherche quelque chose dans une longue mais pas très grande caisse verte où l’on trouve du matériel de cirque.
Plusieurs diabolos de couleurs différentes mais surtout de mauvaise qualité. Certains sont en plastique mou, d’autres plus dur, avec en leur centre un plastique noir qu freine le diabolo au contact de la ficelle.
Des ficelles roses, blanches et jaunes fluo accrochées à des baguettes en bois.
Plusieurs paires de baguettes accompagnées de quelques bâtons du diable.
Des balles de jonglage multicolores, perdues entre elles.
Des balles de tennis usées et des rubans jaunes, roses et bleu clair accrochés à des ficelles qui servent de bolas.
Enfin, des bouts de ficelle cassés, des balles de tennis trouées et perdues au fond de la caisse et surtout ma passion qui s’y est égarée pendant cet instant. [Laura]
Vieillerie
J’ouvre un placard et s’y trouvent :
Un seau troué en fer, rouillé, avec en son bord une serpillière, ce seau ne sert à rien.
Un balai, il lui manque le bout au bout du manche et des poils à sa brosse, il est vieux et des toiles d’araignée le maintiennent au mur.
Des produits ménagers, dans un coin, n’ont pas dû servir et sont regroupés dans un carton.
Une étagère supporte des bouteilles en verre vides et pourtant fermées par un bouchon de liège.
Une ampoule au plafond, elle en fonctionne pas, il fait sombre.
Une pile de torchons soigneusement pliés, repassés, ils sentent encore la lessive, sont blancs, immaculés.
À la porte, un crochet est posé, et une blouse bleu marine déchirée dans le bas et couverte de taches de javel et de graisse est suspendue.
Le bois du placard craque, se vieillit, on distingue des trous causés par des mites.
Une flaque d’eau par terre, des gouttes tombent du plafond.
Au coin, quelque chose qui brille, peut-être une pièce, ou un bouton de manchette.
Un petit coffre est fermé par un cadenas à code, quatre chiffres : 1929. [Marie-Claire]
Ma sacoche Adidas
Je l’emmène partout, de taille moyenne, discrète, pratique. Je l’aime bien ma sacoche.
Je peux mettre pas mal de choses dedans, mon portefeuille pour commencer. Marron, plutôt fin, avec ma carte fidélité du stand de glaces à Géant, ma carte fidélité de chez la coiffeuse, ma carte fidélité du Grec O’dwick, ma carte de Maison du Monde, ma carte de bibliothèque, ma carte Vitale, ma carte de la M.J.C., ma carte bleue, ma carte lycéenne. J’ai pas encore d’argent dedans, mais bon ! j’ai des photos et ma carte d’identité aussi. Dans ma sacoche, je mets mon portable, mes clefs aussi avec comme porte-clefs un petit souvenir du Maroc censé empêcher de perdre son trousseau, mais mon oncle avait le même et a perdu les siennes deux semaines après être rentré du bled. J’ai un Labello aussi, acheté à Carrefour. Et le plus important de toute la terre, mon MP3 Ipod 4 giga octet qui contient plus de 450 chansons, qui m’accompagne vraiment partout, mais partout, même aux toilettes. Mon Ipod, il est blanc, petit, et il a déjà voyagé beaucoup. De Paris à Madrid en passant par Rabat pour aller à Marrakech, il est allé à Barcelone et même à Epinay-sur-Seine ! Je l’aime, mon Ipod, et j’aime ma sacoche. [Anissa]Cette boîte-souvenir
Une bague ayant un rubis, l’anneau est couleur d’or
Un pendentif en forme de clé au bout d’une chaîne, les dents sont tordues, la chaîne est en argent, la clé est de petite taille
Un livre de contes de Perrault, la couverture représentant un loup et une petite fille en rouge
Une peluche en forme de tête de chat, de couleur or et rouge, à qui il manque un œil
Dans cet espace se trouvent
Une bague enfouie sous de la paille, elle possède un anneau fin d’une couleur argentée étincelante, un caillou énormé est posé dessus, il est encore plus luisant que l’anneau qui le porte, même les pies ont renoncé à s’en emparer tant elle brille
Un pelage roux rayé de noir, qui se gonfle et se dégonfle et se confond avec son environnement, le pelage est doux comme de la soie, il sent le foin et la barbe à papa, ce qui se gonfle et se dégonfle c’est son ventre, il est allongé, si l’on remonte sur ce nuage de feu on peut apercevoir deux omoplates bien dessinées, si l’on continue notre parcours c’est une gorge, plus haut une médaille orange où l’on trouve un cercle noir, et sur ce cercle noir un cercle blanc, deux magnifiques émeraudes y restent fixées
Coffre à jouets
Dans ce coffre à jouets en bois placé dans l’angle de sa chambre nous pouvons observer :
Une peluche de couleur bleue représentant un petit chien
Un modèle réduit de voiture disposé à gauche de la peluche
Une poupée aux pommettes rouges et aux longs cheveux couleur ocre assise, son dos courbé plaqué contre le coffre
Une autre poupée également assise à ses côtés tenant dans sa main droite un magnifique miroir au contour argenté et dans sa main gauche une brosse à cheveux dont la couleur rose est écaillée
Un ours en peluche usé par le temps où est inscrit un nom dont les lettres sont à moitié effacées
Dans un vieux sac
De vieilles photos aux bords pliés, certaines même déchirées. Elles sont en noir et blanc et représentent toutes la même chose, le même portrait, le portrait d’une vieille personne, une vieille personne ridée, ridée comme les plis des photos, des photos anciennes, anciennes et usées, usées par plusieurs années, des années tristes, tristes comme le temps, ce temps qui passe, passe et s’en va, s’en va comme cette vieille femme, cette vieille femme ridée, ridée comme ses photos
Un vieux châle, dont la dentelle est décousue et ne tient que par quelques fils, encore assez résistant pour supporter ces quelques centimètres de voile
Une petite boîte en bois rongé par des années de solitude [Sophie]
Dans un sac à main
Une petite brosse bleue avec des cheveux blonds encore dessus, accrochée à un peigne de même couleur, on peut sentir une odeur de vieux cuir
Un porte-monnaie noir à carreaux bleus près d’une trousse à maquillage où on peut voir à travers un rouge à lèvres rouge et un vernis à ongles
Un porte-clés en forme de triangle accompagné de nombreuses clés qu’on peut différencier par leur forme et leur couleur
Un portable gris dans une poche du sac, et dans une autre un paquet de chewing-gum à la menthe déjà ouvert [Annabelle]
Un inventaire anonyme
Un sac de sport usé avec des genouillères, un jogging, des baskets et une bouteille d’eau
Un crocodile gélifié vert à qui il manque la queue
Une voiture rouge à l’avant droit abîmé, oppressée
Un chewing-gum collé sur un morceau de papier
Un fouet avec des lanières en cuir
Des menottes en fourrure rose ainsi qu’un lasso
Une seringue à l’aiguille fine évitant la douleur
Un porte-clefs en forme d’étoile et de couleur violette avec des paillettes
Un ticket pour la tribune Auteuil du Parc des Princes
Une bouteille de whisky de onze ans d’âge à moitié vide
Du papier toilette triple épaisseur parfumé au rhododendron
Un babyliss où sont restés coincés des cheveux brûlés
Un petit diabolo rouge henry’jazz abîmé par les violents rebonds répétés sur le bitume
Une clémentine s’affaissant sur elle-même et se désintégrant comme un nain dans une forêt d’épicéas [collectif]22 mai 2007
[1] Traduit en français par Jean Queval en 1972, éditions Plon, collection Terre humaine.