L’Eau et les Rêves, Bachelard, 4
– L’eau aime à combiner, mélanger, métisser, assimiler, dissoudre, s’imprégner, teindre et déteindre, fluidifier, lier et délier...
– Union de l’eau et du feu : images suggérées par l’alcool : quand l’alcool flambe, un soir de fête, il semble que la matière soit devenue folle, comme si l’eau féminine perdait toute pudeur et se livrait, délirante, à son maître le feu. L’eau de vie. L’eau thermale souffrée. "L’eau est un corps brûlé". [1] "L’eau est une flamme mouillée". [2] C’est le mariage des contraires (l’eau éteint le feu), fortement sexualisé. Le phosphore, découvert par le chimiste Brandt, feu qui se conserve sous l’eau. La source naît parfois d’un coup de foudre, dans les légendes, et inversement la foudre sort parfois d’un lac violent. Unies, ces deux puissances peuvent tout, créent tout : l’humidité chaude, la moiteur.
– Union de l’eau et de la nuit : celle-ci est à considérer comme une matière, une substance qui peut imprégner l’eau : si bien que l’eau, même de jour, devient "couleur d’encre". Dans bien des récits, les lieux maudits ont en leur centre un lac de ténèbres et d’horreur. La Mer des Ténèbres. L’eau mêlée de nuit est un remords ancien qui ne veut pas dormir... L’eau dans la nuit donne une peur pénétrante, une peur humide, visqueuse, qui fait frissonner. Brumes du matin sur lacs et rivières : les fantômes se nourrissent d’eau et de nuit, pour s’évaporer au matin. Mais l’eau et la nuit peuvent aussi s’unir pour délivrer leur douceur : "Le miel de la nuit se consume lentement". [3] Nous absorbons la nuit par ce qu’il y a d’hydrique en nous.
– Union de l’eau et de la terre : pâte, schème du matérialisme, indépendamment de toute question de forme. Déformations, mollesses, viscosités, mucosités, pétrissages, liaisons-déliaisons... cf. les peintures de Dali (montres molles). Mains dynamiques de l’Homo faber : les vrais travailleurs sont ceux qui mettent "la main à la pâte". C’est le modeleur qui est le plus près du rêve intime, du rêve végétant. Le limon est l’une des matières les plus fortement valorisées : la "fécondité continue", les forces régénératrices, l’équivalence chair-limon (ou chair-argile).