L’Eau et les Rêves, Bachelard, 5

 "Et comme aux temps anciens, tu pourrais dormir dans la mer." [1] Sentimentalement, la nature est une projection de la mère. En particulier, la mer est l’un des plus constants et grands symboles maternels. De même qu’on peut considérer que tout liquide est une eau, on peut dire que toute eau est un lait. "Or ces eaux calmes sont de lait / et tout ce qui s’épanche aux solitudes molles du matin". [2] Lune, nuit, tiédeur, lait... Une pluie d’été, chaude et fécondante, c’est un déluge de lait. Le lait est l’élément nutritif par excellence. On dit que la terre "boit" l’eau.

 Dans l’eau, la matière féminine est présence diffuse. La substance voluptueuse est pressante (cf. Novalis), mais on est avant l’apparition des formes de cette féminité et de cette volupté. "Que de fois, en nageant dans un golfe écarté, j’ai pressé avec passion la vague sur ma poitrine ! A mon cou, le flot pendait échevelé, l’écume baisait mes lèvres." [3] L’eau permet un enchantement non par les images, mais par les substances : dans l’eau, le nageur serait, à l’instar de Novalis, davantage un Touchant qu’un Voyant.

 L’eau est l’élément berçant. L’eau nous porte. L’eau nous berce. L’eau nous endort. L’eau nous rend notre mère.



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1er septembre 2010
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[1Les Nécessités de la Vie, P. Eluard

[2Eloges, St John Perse

[3Ahasvérus, E. Quinet