La Palude
Premier livre traduit du poète argentin Daniel Garcia Helder.
Daniel Garcia Helder, né à Rosario en 1961, est en Argentine l’un des poètes les plus novateurs de sa génération. La Palude, son premier livre traduit en France, nous permet de mieux approcher ces territoires situés entre zones industrielles et lagunes aux eaux grises et stagnantes où il aime vaquer pour y déceler tel ou tel élément susceptible de déclencher la venue d’un poème bref et circonstancié. Cela peut être un objet abandonné dans un terrain vague, un néon qui bouge et clignote dans la nuit, une tombe au « Cimetière des Dissidents » ou la vue du supermarché Makro qui se dresse au milieu d’une plaine côtière, tel un phare de béton, sur la route qui mène à la ville de Rosario.
Les entrepôts de banlieue, les ruines métalliques et les hangars éventrés où les herbes folles lèchent la ferraille et la rouille servent fréquemment d’appui à un paysage qui est tout à la fois réel et intérieur.
« Je ne suis pas enfant de mes parents mais de la rigueur
et je suis fatigué, la tête entre les mains
comme une noix ouverte. »
Notant cela, Garcia Helder sait de quoi il parle. Sa génération est celle qui, après avoir grandi sous la dictature, a vu son pays s’effondrer économiquement et la pauvreté toucher le plus grand nombre. Ces friches disséminées qu’il dévoile en peu de mots, il sait qu’elles prolifèrent aussi dans les têtes, causant des dégâts irréparables, touchant le mental, l’intégrité, la personnalité même de ceux qui souffrent.
Si ces fêlures, celles de l’histoire récente et du présent qui en découle, n’apparaissent que de façon lapidaire dans ses textes, il ne les occulte pourtant pas. Elles restent perceptibles, se glissent dans des poèmes dont le centre de gravité se trouve ailleurs, plus précisément dans des lieux publics (garage, cimetière, hôpital, quartiers urbains, toilettes d’un bar) qui s’imposent à lui et qu’il décrit brièvement, déroulant, à la manière d’un William Carlos Williams ou d’un Wallace Stevens, dont on le sent parfois proche, des scènes concrètes.
« La rue est sale et en désordre,
branches se frottant comme des épées
à la hauteur de corniches et de balcons
où la pluie se résume
à un minimum de lumière, de gris sale
et un crépitement pareil à de l’huile de friture.
On voit la fausse manœuvre d’un camion
frigorifique, la porte arrière qui s’ouvre.
Une demi-carcasse suspendue à la barre
oscille, solitaire, sous le regard des gens.
Et il faudrait se dire qu’on ne l’emporte pas
à la boucherie, mais au garage
où a monté son atelier un naturaliste
tardif, un nouveau futur Rembrandt
qui à cette heure du point du jour
doit être après à nettoyer les pinceaux
sur la manche de sa chemise.
Poète du geste et du regard, Garcia Helder n’omet aucun détail et réussit à concevoir des séries de tableaux qu’il met lentement en mouvement. Le décor est volontairement pauvre. Situé dans des lieux qui le sont tout autant. À la périphérie des villes. Là où la mémoire semble s’être figée. Laissant émerger des pointillés de vie. Qui chez lui forment poèmes. Notes de veille. Et passages cloués (ou ponts, passerelles) capables de relier un passé fragile à ce présent incertain qu’il ne cesse, dubitatif, d’interroger.
« Qu’est-ce que j’ai à voir avec ça.
Qu’est-ce que ça a à voir avec moi. »
Daniel Garcia Helder : La Palude, traduit de l’espagnol (Argentine) par Vincent Ozanam, préface de Sergio Delgado, éditions Les Hauts-Fonds.