La Revue Nu(e) lance une collection : « Philosophie Nue »
« La collection Philosophie nue voudrait présenter des paroles en nom propre riches d’un désert peuplé, voulant rompre avec toute « éminence », et en finir avec la confusion sans avenir de la puissance avec la domination. »
C’est le projet de la collection, tel que le résume la quatrième de couverture de cette première livraison. Arnaud Villani, qu’on connaît comme philosophe [1]mais aussi comme poète, [2] précise, dans un prologue et un avertissement, les enjeux poursuivis, souhaitant que, à côté du « courant majeur » que représente la philosophie officielle, Phisosophie nue accueille une tout autre forme de pensée, de nature "symbolique" :
Suivre son déroulement permet d’en vérifier l’endurance, d’en éprouver la fraîcheur, d’en mesurer la portée pour de nouveaux concepts (tension et harmonie, pensée inséparée, laisser-être, non-agir, coïncidence des opposés, pensée du corps, vitesse, ruse). (...) On verra, dans cette promenade philosophique où toute référence technique a été bannie strictement, afin de brûler ses vaisseaux, se marier question et forme d’écriture.
C’est un projet généreux, auquel Villani se consacre lui-même pour ce premier volume, Précis de philosophie nue, prenant le beau risque de tenir, dans la même main qui écrit, les armes du concept - certaines pages demeurent très "philosophiques" - et le pouvoir d’évocation du poème.
Un texte liminaire de Virginia Woolf, et dont la valeur est comme programmatique, permet d’élaborer les conditions et les caractères d’une "expérience sursensible" au cours de laquelle le corps se rassemble en soi et participe à l’unité du monde.
Ce n’est qu’à partir d’une telle expérience de la présence, qui veut le dépouillement et les noces, que le corps pourrait être comme définitivement rapatrié dans la philosophie, et celle-ci sauvée des fantasmes de la représentation.
Comment balayer ensuite, une fois gagné ce pas, tout le champ de l’expérience, comment la vivre et la penser en même temps, assumer ses contradictions telles que, par exemple, les vies sociale, érotique, politique, ne cessent de les tordre et confondre... A cette question, Villani répond en particulier par la leçon que, depuis notre origine, donne, en son mutuel et nécessaire refus de s’entendre, le couple que forment Antigone et Créon.
Il s’agit bien, en effet, de nommer l’origine du monde. Mais seule une conscience philosophique, rapatriée en soi, peut prétendre à la tache, depuis la bonne distance, qui est sa constante querelle ...
C’est dès sa naissance que la philosophie s’écarte. Elle critique le mythe et en fait apparaître le noyau. Le mythe énonce le geste sécant qui dessine la ligne nette d’une fente. En arrière de cette fente se tient la loterie des êtres. L’aumône d’un petite réalité est ce qu’attendent les êtres blottis dans l’informe, serrés les uns contre les autres comme de pauvres non-nés. Ils attendent de l’autre côté de la fente, corps bondé de Tiamat, monde vague d’un dragon femelle, et leur salut viendra d’une bouche ouverte, même s’il faut pour cela qu’un héros trace violemment sur le corps de l’informe la bouche cosmique d’où tout provient. En deux parts s’écarte Tiamat, ciel et terre d’un seul mouvement. Mais ni ciel ni terre n’ont abandonné l’esprit de la bouche d’ombre.
Plus subtilement donc qu’une substitution du mythos par le logos, c’est un débat qui ne finit pas. Le mythe hante la raison comme Antigone Créon, le singulier l’universel, l’individu l’État, le non-fini la forme. La philosophie (et non ce complot de la raison étroite contre ce qui surabonde inséparé) est la coexistence de la coupure et de la réserve sur laquelle s’enlève cette coupure.