Labyrinthes d’Athènes, portraits de ceux qui errent

 

Athènes, photos de Didier Ben Loulou et poèmes de Yòrgos Markòpoulos, vient de paraître aux éditions de La Table Ronde.

Le site du photographe Didier Ben Loulou.
Les expositions où l’on pourra voir les photos d’Athènes.

Yòrgos Markòpoulos est au sommaire de l’anthologie des Poètes grecs du 21e siècle, choisis, traduits et présentés par Michel Volkovich chez publie.net où il dirige la collection Grèce.

Sur le site de Michel Volkovich, dans la rubrique « Made in Greece », des poèmes de Yòrgos Markòpoulos.


 

Le portique d’un temple. Un ciel couvert ou pollué. Des déchets qui flottent le long d’une jetée. Un chien sur le toit plat d’un bâtiment en béton. Au loin, la mer – les photographies sont des clairs-obscurs, on les croirait presque en noir et blanc. Les couleurs surgissent avec un chien roux, un tissu rouge, la timonerie blanche d’un caboteur, le bleu du ciel – elles sont intenses, soutenues. Elles maintiennent en place les cadrages serrés autour de ce qui explose au regard : des corps qui ne font qu’un avec la terre et le ciel sans qu’aucun, ni le ciel ni la terre, leur appartienne.

Le regard s’arrête derrière une femme en chignon, de dos, en pull rouge et longue jupe brodée, elle porte un enfant au bonnet sur son bras gauche. Près d’elle, une fillette aux cheveux noirs, pantalon rouge et gilet parme avec des manches. Un jeune garçon, les mains dans les poches, dans une posture à siffloter. En contrebas, une camionnette qu’on va charger ou décharger, sacs, couvertures. Ces gens arrivent ou repartent. Là-bas, la ville des hauteurs.

Le regard se fraie un chemin dans la vieille ville aux murs noircis, aux lieux vagues et sans destination, obstinée dans la résistance physique des corps à la misère, à la solitude. On croise une fillette qui trébuche dans des chaussures à talon trop grandes pour elle, un Africain avec son ballot sur l’épaule, des hommes et des femmes adossés à des murs ou assis devant les étals d’objets disparates, dépareillés. Des tissus suspendus sur une corde. Des valises en tissu moiré. Un caddie plein de sacs recouvert d’une couverture en laine à rayures. L’affiche déchirée d’un spectacle de cirque. Une femme en jupe imprimée façon léopard. Une femme en robe rouge avec un nœud sur les reins. Un bras tatoué d’un portique.

En tournant les pages on peut lire, imprimés en bleu sur de fines feuilles blanches prises dans la reliure et ne recouvrant pas les photographies de Didier Ben Loulou, des poèmes de Yòrgos Markòpoulos traduits par Michel Volkovich, la version grecque figurant au verso. Le dialogue entre les textes et les photos est dense, brutal, direct. Ne pas appartenir à la société qui a droit de cité, vivre dans ses écarts pèse lourdement sur les visages harassés, les cœurs désemparés, s’inscrit dans les poèmes qui savent recueillir la présence et rappeler la nécessité de chacun, fait naître des larmes, de la colère.


 

L’ÉTRANGER

Car l’étranger dans la journée ne connaît pas la ville.
L’étranger la connaît le soir, quand elle dort.
Il repart au matin, l’air dur
de qui a cherché en vain.

Toi qui l’aimas un jour
quand tu le verras passer devant ta porte,
donne-lui un peu de l’ancienne tendresse.
Et pense après des années
que par ta vie un jour Ulysse est passé.

Yòrgos Markòpoulos


5 janvier 2014
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