Les gants
Ce jour-là, j’avais une paire de gants en cuir et une paire de mitaines dans mon sac, c’était un jour de froid.
Je les ai posés sur la table devant les élèves.
Et si on écrivait le monologue du gant droit ?
Le dialogue entre le gant droit et le gant gauche ?
La dispute ancestrale entre mitaine et gant, comme entre Montaigu et Capulet ?
Ou plutôt le monologue de l’ouvrière devant sa machine à coudre en train de les fabriquer ?
Le chef de l’atelier qui vérifie une couture ?
Ou la vendeuse du magasin qui s’ennuie car pas de client aujourd’hui ?
Le théâtre est partout.
Il suffit de lever le rideau.
Textes des élèves :
1. Dialogue des gants
De Lou Suel et Marie Dubourg.
Gant droit : Coucou toi !
Gant gauche : Salut Collègue !
Gant droit : Comment vas-tu aujourd’hui ?
Gant gauche : J’ai réchauffé une main gauche, et toi ?
Gant droit : Et moi, une main droite !
Gant gauche : Elle était comment, la tienne ?
Gant droit : Elle était râpeuse et pas très agréable, et toi ?
Gant gauche : Elle était douce !
Gant droit : Tu en as de la chance !
Gant gauche : Et oui, collègue !
Gant droit : Je suis outrée que cette personne ait deux mains si différentes !
Gant gauche : Dommage qu’elle n’ait pas deux mains gauches !
Gant droit : Oui l’ami !
Gant gauche : Bon, on reprend notre travail demain collègue ! Bonne soirée.
Gant droit : Oui, merci, toi aussi !
2.
De Candice Le Creurer
Je suis un petit gant droit, je suis 100% soie. Mon cuir attire, mais en été, attention à ne pas me faire cuire. J’ai été fabriqué aux Philippines, c’est pour ça que j’ai une si bonne mine ! Un jour où je me promenais dans l’atelier, j’ai vu un gant gauche bien apprêté. Il me faisait de l’effet avec ses doigts de fées. Mais j’étais trop timide et aussi sec qu’un désert aride. Du coup, je lui ai souri et il a ri. Nous sommes devenus amis et je lui ai parlé de mes soucis. Je lui ai raconté comment on m’avait poignardé, brûlé et démembré. Des gants d’enfants pleuraient dans l’atelier.
J’essaye d’oublier, mais j’ai envie de crier.
3.
De Nina Lebrun
Je suis un petit gant gauche, je suis 100% soie. J’ai été fait aux Philippines, dans un atelier.
Je me souviens, j’ai été poignardé sur tout mon corps, brûlé au fer, démembré de mes surplus de tissu. C’était horrible.
Il y avait un autre gant qui me ressemblait, il m’a souri. Il m’a raconté son histoire, je me suis rendu compte qu’elle était pareille que la mienne.
Autour de nous, des gants pour enfants pleurent.
Nous sommes tous entassés dans une boîte et nous finirons bientôt accrochés au mur dans un magasin, avec tous ces gens qui vont nous tripoter.
4.Les gants.
De Pauline Goulas Vialle.
Gant gauche : Ah, gant droit, j’ai le mal de mer !
Gant droit : Ah bon ? Moi ça va. Mais je préférais être chez nous !
Gant gauche : Oui, on était bien chez nous… Au chaud, avec les presses qui fumaient comme des dragons.
Gant droit : Je me rappelle de la guillotine, avec sa lame qui me coupait des petits morceaux de peau.
Gant gauche : Moi, je me souviens des coupures de la piqueuse plate… Et du carton…
Gant droit : C’est là qu’on s’est rencontré, mon frère, mon double, mon jumeau.
Gant gauche : La couleur marron du carton change des murs blanc et du sol gris de l’atelier…
Gant droit : Mais les murs étaient verts et le sol, c’était de la terre. Je te rappelle aussi que nos parents sont des petits enfants…
Gant gauche : Non, des adultes fatigués, épuisés avec des cernes prononcées !
Gant droit : Mais qu’est-ce que tu racontes ! Je viens de Chine, et c’est un petit garçon qui m’a dépiqué, parce qu’une petite fille me piquait mal.
Gant gauche : Tu es sûr que nous sommes vraiment jumeau ?
Gant droit : Bah oui…
Gant gauche : Pourtant, je viens de Thaïlande…
5.Les gants.
De Camille Bernard.
Aujourd’hui, je me promène, je marche, je marche, je marche, je regarde les vitrines des magasins, je n’achète pas puisque je n’ai pas fait assez d’économies. Je travaille dans une grande usine où je fabrique des habits. Je gagne très peu d’argent, j’arrive à peine à me nourrir et à payer mon loyer.
Là, en ce moment, je vois ce gant, ce gant de cuir que j’avais fait à l’atelier. Il se trouve dans la vitrine du magasin. Je me souviens que je me suis donnée beaucoup de mal pour le faire, j’ai fait plusieurs séries de 60 gants en cuir, tout comme celui là. Je regarde l’étiquette, ils l’ont mis en vente pour 150 francs (20€). Je n’en reviens pas. Un gant fabriqué par des ouvrières qui sont très mal payées, qui travaillent dur, elles y mettent toute leur énergie pour les fabriquer sans aucun défaut avec les contrôleuses qui sont sans arrêt derrière elles toute la journée, à les surveiller pour détecter la moindre erreur… C’est injuste.
Et oui… Nous sommes dans les années 1920.
6.Témoignage.
De Daniel Manene.
Aris, 17ans, complice d’un meurtre.
Mercredi 14 Mai 2014 - 11 :10 - début de l’enregistrement
Aris : Je m’appelle Aris. J’ai 17 ans. Je suis en cuir d’agneau. Mon intérieur est en soie.
M. Goyard Allez à l’essentiel Aris !
Aris Et je… je viens de… des Philippines, j’y suis né.
J’ai été importé à Paris dans un grand magasin, 2/3 jours après ma fabrication, dans un magasin réputé pour l’amour que les acheteurs ont pour leurs achats. En effet, Mike m’aimait vraiment de toute son âme, il me chouchoutait énormément et ne me portait que pour les grandes occasions.
Ce jour-là était une grande occasion, c’est vrai… Quand je pense que je l’ai aidé à ce… Bref
Mike ne vivait pas seul, il avait une petite amie, elle s’appelait Milaine. Milaine était gentille mais tellement bipolaire, on ne savait pas quoi penser d’elle et Mike l’a supportée pendant 5 ans. Elle m’aimait bien, elle disait que Mike était classe quand j’étais à ses doigts, elle me chouchoutait aussi un peu du genre « l’événement n’est pas assez important pour porter ses magnifique gants », j’étais gêné mais bon, faut dire que je lui avais coûté cher…
J’avais tout juste 4 ans et pourtant je me souviens de tous ses mots un à un comme si elle les avait dit y’a 2 secondes « Oui mais tu ne me calcules plus, aussi faut pas s’étonner ?! » « Mais comment tu peux dire ça alors que tu t’es mariée avec lui avant qu’on se mette ensemble, t’as eu des enfants avec lui avant que l’on se mette ensemble et en plus t’as un enfant plus vieux que notre relation, tu comprends que je puisse être un peu énervé » Mike avait découvert la deuxième identité de Milaine sur ce fameux réseau social Face book, en plus elle était comptable, mdr, elle a quitté la maison sur le champ, je ne l’ai plus jamais revue de ma vie.
Pendant, allez, 7ans, Mike était un célibataire, alcoolique, dépressif, solitaire et j’en passe… j’étais sa seule consolation, comme son fils. A chaque fois qu’il me portait, je sentais ses veines fortes sur moi, j’étais super mal à l’aise.
Et un jour… excusez-moi…
[Larmoyant] il m’a regardé droit dans la paume et m’a dit « je t’aime mais tu vas le faire ! », il m’a enfilé, a pris son gun, l’a pointé sur sa pomme d’Adam , a appuyé sur la détente avec mon index et là c’était trop tard… J’ai tué Mike.
M. Goyard Merci Aris, tu peux t’en aller.
7.
Gantus / Gantililia.
De Mélissa Correia.
Gantus : Où es-tu ?
Gantililia : Toi où es-tu ?
Gantus : Je ne vois rien, je suis dans le noir. Toi, que vois–tu ?
Gantililia : Je suis sur la chaise mais je ne te vois pas ! Où es–tu ? Dans le tiroir ? Dans la commode ? Sous le lit ? Dans le sac ?
Gantus : Je crois que je suis dans son sac, j’entends les pièces discuter entre elles !
Gantililia : Sors de là que je puisse te voir.
Gantus, il grimpe sur les pièces pour atteindre le zip et l’ouvre :
J’arrive, j’atteins le zip.
Gantililia : je te vois ! Rejoins-moi.
Gantus : J’arrive, j’essaie de descendre.
Gantililia : Attends ! J’entends un bruit ! Je crois que Anastasia arrive !
Plus un geste !
Anastasia : Vite, je vais être en retard, mon sac, mes gants !
Elle claque la porte.
Noir.
8.Mylène, Mi-Cuir.
De Flora Kerautret et Alicia Duarte
J=Journaliste
M=Mylène
J- Bonsoir, nous sommes ce soir sur le plateau de « Gant raconte nous ton histoire », je vais vous présenter une histoire pas comme les autres, celle d’une personnalité qui nous a interpellé.
Cette histoire est celle de Mylène, une jeune fille schizophrène.
Donc Mylène, je vais vous demander dans un premier temps de vous présenter.
M- Bonsoir, je m’appelle Mylène, j’ai 25ans.
Il y a 7 ans j’habitais à la campagne, dans un petit village se nommant « Mouflette ». Un village dans lequel se trouvait une population différente et variée : gants en cuir, en laine, en simili cuir, des mitaines, des moufles, et pleins d’autres.
J- Pouvez-vous nous expliquer, Mylène, comment a commencé cette maladie (qui finalement vous a hanté durant des années). Par quoi a-t-elle été provoquée d’après vous ?
M- Durant la période de ma pré- adolescence, de 11 à 16 ans, j’ai été persécutée par d’affreux gants, physiquement différents de moi ; mais nous sommes tous différents, n’est-ce pas ?
J- Exactement, cette différence que nous avons tous, nous construit, nous forge, nous différencie. Sans être indiscret, je voudrais savoir votre ressenti. Dîtes- moi comment vous avez réagi ? Et surtout, quel a été l’impact sur votre personnalité ?
M- Les critiques et les moqueries ont commencé ; les pleurs et les larmes ont coulé, j’ai cessé d’être moi-même, à ce moment là. Vous savez, cette obsession amère, cette souffrance continue, cet appétit désert, le monde qu’on regarde par-dessus.
Tantôt on vole, tantôt on chute.
Souvent on chute, la tête en bas.
J- Merci pour votre témoignage, Milène, et bon courage pour la suite.
9. BIP BIP BIP
De Laura Lada.
La pièce est noire, une lumière se positionne sur elle, elle appelle quelqu’un et tombe sur le répondeur...
Bon, je pars au boulot, j’ai fermé les volets de la maison, éteint lumière et télévision. C’est noir comme les gants en cuir noir, tu sais ceux que tu m’as offerts l’année dernière, je les mets en hiver et même en été. Super gants en cuir noir noir noir 100% soie peau d’agneau arrachée pour ces supers gants noirs. L’extérieur de ce gant noir me plait, tu me les as offerts mais je voulais juste te dire qu’ils ne sont pas chauds, pas chauds du tout, à vue d’oeil ils sont vachement beaux, ils vont vachement bien avec mon sac à main en cuir noir, mais ils sont pas chauds, en plein mois de décembre, -10°c, il fait vraiment froid et j’ai très froid, ah oui j’te jure j’ai vraiment froid... oui oui je sais... t’inquiète, je me couvre bien, c’est juste mes mains. Mais merci pour ces gants. Je les mets quand même parce qu’ils sont beaux et que tu me les as offerts, tu te souviens ? Tu me les as offerts pendant notre balade à Florence, c’était beau et puis tout souriait tellement. OH ! LES PHILIPPINES, les Philippines il y a écrit dessus, ils viennent donc de là-bas... ils sont beaux comme les Philippines. Vraiment merci, c’est adorable. Merci pour ces supers gants noirs. J’aurais pu en acheter d’autres, des gants mais non, parce que c’est toi qui me les as offerts ces supers gants noirs. Supers gants noirs. En fait, pour être honnête.. non.. non sérieusement je suis comme ces gants noirs, je suis belle comme ils sont beaux : souriante, pimpante, rayonnante mais je suis comme ces gants en réalité, je suis vide, fade, je donne froid et je suis noire. Noire et triste comme ces gants. Je broie noir, je mange noir, je donne noir, j’dors noir, j’ai même ces putains de gants noirs. Je les ai portés à ton enterrement, j’ai même mis ton parfum dessus, dans l’espoir de garder tout ce qui me rapproche de toi mais je reste comme eux : noire... noire... noire. Mais je les change pas parce qu’ils sont beaux et que tu me les as offerts.
Moment de silence, pièce sombre.
Tu vas revenir hein ? Qu’on parte aux Philippines, que tu m’offres des gants jaunes, rouges, verts, roses, bleus... Que je puisse voir de la couleur dans tes yeux, et de la vie dans nos sourires, que j’arrête de fabuler sur du noir... j’ai peur du noir, j’ai peur sans toi.. Je vais peut-être les enlever aujourd’hui, je sais pas, j’vais réflechir, Bisous Maman.
Bip... Bip... Bip...