Lucie Taïeb | 2043
l’amour qui nous empêche de parler –
notre imperfection –
Je savais que mon amie avait un corps. Nous ne parlons jamais de nos corps car nous savons que nous les avons, nous n’en parlons pas car chacune a son corps et c’est si évident qu’il n’y a rien à cacher ni à dire.
humains, nous nous rapprochons l’un de l’autre,
quand il fait froid.
Avoir une femme et un enfant, être la femme de quelqu’un en attendre un enfant – nous faisons ce que font les humains aux différents âges de leur vie. Nous ne prenons pas au sérieux les mots mêmes que nous utilisons pour décrire certaines impressions que nous ne prenons pas plus au sérieux – carcan, enfermement, définition, fuite. Nous ne prenons pas ces mots au sérieux.
Une brisure dans sa voix au téléphone.
Tu n’as pas besoin de me parler, pas besoin d’expliquer. Tu peux me parler, tu peux alléger ton corps. Tu peux déposer un peu de ce poids le mettre entre nous sur la table, à côté des deux tasses de tisane et de la part de gâteau que nous nous partageons. Tu peux mettre ce poids sur la table, un peu de ce poids – comme tu voudras. Il est là. C’est ici que tu as des larmes, c’est ici que tu as peur. Je n’y touche pas. Je ne le regarde pas. Je ne suis là que pour qu’il y ait une table, deux tasses, une part de gâteau, un endroit où mettre ce poids, cette chose, cette peine, un endroit où déposer un peu de ce qui t’oppresse, pour que cela soit là, sur la table, entre nous, et non plus sur ton cœur, tes poumons, dans ta voix, qui la brise.
sans mot –
nous nous aimons
Nous faisons ce que font les humains, nous nous réchauffons, nous partageons de la nourriture, des mots, des gestes, des questions, nous essayons d’avoir quelque intelligence de ce qui nous entoure, quelque intelligence de ceux que nous croisons, nous essayons d’être sans cruauté, si nous ne sommes pas sans colère, nous essayons et nous rageons, nous échangeons des mots, des baisers, des caresses, nous échangeons des gestes d’affection pour l’affection que nous ne parvenons pas à dire, nous échangeons des mots pour les désirs que nous ne parvenons pas à vivre, nous avons des exigences, nous les soupesons, nous les acceptons, elles s’imposent à nous, nous avons des questions, infiniment, une soif infinie de questionner, de comprendre mieux, de saisir un peu, nous renonçons à savoir, mais nous ne renonçons pas à aimer, à questionner et à aimer, infiniment.
notre imperfection –
Je savais que mon amie avait un corps. Nous ne parlons jamais de nos corps car nous savons que nous les avons, nous n’en parlons pas car chacune a son corps et c’est si évident qu’il n’y a rien à cacher ni à dire.
humains, nous nous rapprochons l’un de l’autre,
quand il fait froid.
Avoir une femme et un enfant, être la femme de quelqu’un en attendre un enfant – nous faisons ce que font les humains aux différents âges de leur vie. Nous ne prenons pas au sérieux les mots mêmes que nous utilisons pour décrire certaines impressions que nous ne prenons pas plus au sérieux – carcan, enfermement, définition, fuite. Nous ne prenons pas ces mots au sérieux.
Une brisure dans sa voix au téléphone.
Tu n’as pas besoin de me parler, pas besoin d’expliquer. Tu peux me parler, tu peux alléger ton corps. Tu peux déposer un peu de ce poids le mettre entre nous sur la table, à côté des deux tasses de tisane et de la part de gâteau que nous nous partageons. Tu peux mettre ce poids sur la table, un peu de ce poids – comme tu voudras. Il est là. C’est ici que tu as des larmes, c’est ici que tu as peur. Je n’y touche pas. Je ne le regarde pas. Je ne suis là que pour qu’il y ait une table, deux tasses, une part de gâteau, un endroit où mettre ce poids, cette chose, cette peine, un endroit où déposer un peu de ce qui t’oppresse, pour que cela soit là, sur la table, entre nous, et non plus sur ton cœur, tes poumons, dans ta voix, qui la brise.
sans mot –
nous nous aimons
Nous faisons ce que font les humains, nous nous réchauffons, nous partageons de la nourriture, des mots, des gestes, des questions, nous essayons d’avoir quelque intelligence de ce qui nous entoure, quelque intelligence de ceux que nous croisons, nous essayons d’être sans cruauté, si nous ne sommes pas sans colère, nous essayons et nous rageons, nous échangeons des mots, des baisers, des caresses, nous échangeons des gestes d’affection pour l’affection que nous ne parvenons pas à dire, nous échangeons des mots pour les désirs que nous ne parvenons pas à vivre, nous avons des exigences, nous les soupesons, nous les acceptons, elles s’imposent à nous, nous avons des questions, infiniment, une soif infinie de questionner, de comprendre mieux, de saisir un peu, nous renonçons à savoir, mais nous ne renonçons pas à aimer, à questionner et à aimer, infiniment.
10 février 2012