« Mehdi de cinq à sept »
Présentation du séminaire « Mehdi de cinq à sept », tenu mensuellement aux locaux de la Générale.
Les captations vidéo des séances du séminaire sont reprises dans cet article.
Le séminaire se présente comme un abécédaire. Cinq, dix, vingt mots-concepts clés… qui dessinent les grandes lignes du travail philosophique de Mehdi Belhaj Kacem (nombreux n’hésitent plus à parler de système). L’ordre est moins évolutif qu’interactif, organique : il s’agit de montrer comme tous les concepts sont organiquement liés les uns aux autres ; comment chacun permet d’éclairer tous les autres, et comment la connaissance d’un concept supplémentaire permet à chaque fois d’approfondir la compréhension de l’ensemble de la pensée développée. En sorte, du reste, que l’ordre où l’on découvre ces concepts importe finalement peu : ceux qui ne viennent pas aux séminaires et consultent leur diffusion en ligne peuvent très bien regarder les séances dans le désordre, ils ne manqueront pas d’y retrouver leurs petits. Nous livrons ici le résumé liminaire des concepts exposés lors des deux premières séances.
Nihilisme : l’œuvre philosophique « canonique » de Mehdi Belhaj Kacem s’intitule « L’esprit du nihilisme » (Paris, Fayard, 2009). L’ambition n’est pas d’établir un énième état des lieux de notre nihilisme contemporain, mais au contraire, pour la première fois, de déconstruire le concept nietzschéo-heideggerien de « nihilisme ». Il est impossible de résumer cette déconstruction en quelques lignes, mais l’argument principal est le suivant : la philosophie, dès son envoi platonicien, a toujours été un eudémonisme : une recherche du Bien sans mélange, une forclusion sophistiquée de la question du Mal, dont on peut vérifier qu’elle se poursuit presque dans toute l’histoire de la philosophie. La philosophie (Platon nommément) est ce qui irréalise le Mal au prétexte de la recherche exclusive du Bien. Le « nihilisme » de Nietzsche et Heidegger, quoi qu’ils se soient voulus farouchement anti-platoniciens, est le dernier avatar du platonisme, parce que la dernière forme sous laquelle la philosophie n’ose pas appeler le Mal par son nom. « Nihilisme » est un concept platonicien par excellence, parce qu’il est le concept de désignation de « tout ce qui ne va pas », et à quoi la philosophie ne veut jamais trouver de réponse positive -au sens de donner une description et une définition du Mal aussi sophistiquée qu’elle le fit avec le Bien-. La philosophie ayant dès son origine irréalisé, spectralisé la facticité du Mal (de l’horreur, de la souffrance inutile amenés par la seule clôture anthropologique), elle nomme pour finir « nihilisme » cette irréalité achevée (qui est justement tout ce qu’il y a de plus réel, de plus original dans ce qu’a amené l’humanité sur terre par rapport à l’animalité : la technologie).
Ironie : On examine dans cette séance, en acceptant, par provision stratégique, comme pour jouer, l’hypothèse du « nihilisme », la forme phénoménologico-sociologique principale que prend ce dernier, et qui est : l’ironie obligatoire, le second degré généralisé, la parodie omniprésente. On parcourt quelques-uns des concepts diagnostics qui ont servi à qualifier cette modernité : spectacle (Debord), postmodernité (Lyotard), « simulacre ». On s’aperçoit que, sous ses dehors à point nommé « nihilistes », cette époque n’est peut-être pas-si-nihiliste que ça, et que cette vogue de la postmodernité parodique, qui succède à l’âge romantique puis à l’âge avant-gardiste –la postmodernité, à bien des égards, c’est une parodie de l’avant-gardisme-, n’est peut-être pas si idiote qu’il n’y paraît. Bien sûr, elle reste prisonnière de cela dont elle veut se débarrasser en le parodiant : l’héroïsme emphatique des romantiques, ou de l’avant-garde. Mais ce qu’elle attaque, précisément, dans ces configurations, c’est le platonisme latent (c’est encore plus vrai de l’avant-garde que du romantisme). On démontrera bien sûr, en passant, que notre « postmodernité nihiliste » reste prisonnière du platonisme, puisqu’elle joue le jeu de la parodie contre l’original, du second degré contre le premier, etc. : elle joue un jeu sarcastique contre le platonisme inconscient de la modernité (surtout artistique et politique), mais reste encore complice de ce dernier, en considérant que la copie, la parodie, l’imitation… sont toujours des dégradations de cela qui est imité, parodié, copié. C’est dans la séance suivante qu’on indiquera les pistes du « grand renversement ».
Nihilisme : l’œuvre philosophique « canonique » de Mehdi Belhaj Kacem s’intitule « L’esprit du nihilisme » (Paris, Fayard, 2009). L’ambition n’est pas d’établir un énième état des lieux de notre nihilisme contemporain, mais au contraire, pour la première fois, de déconstruire le concept nietzschéo-heideggerien de « nihilisme ». Il est impossible de résumer cette déconstruction en quelques lignes, mais l’argument principal est le suivant : la philosophie, dès son envoi platonicien, a toujours été un eudémonisme : une recherche du Bien sans mélange, une forclusion sophistiquée de la question du Mal, dont on peut vérifier qu’elle se poursuit presque dans toute l’histoire de la philosophie. La philosophie (Platon nommément) est ce qui irréalise le Mal au prétexte de la recherche exclusive du Bien. Le « nihilisme » de Nietzsche et Heidegger, quoi qu’ils se soient voulus farouchement anti-platoniciens, est le dernier avatar du platonisme, parce que la dernière forme sous laquelle la philosophie n’ose pas appeler le Mal par son nom. « Nihilisme » est un concept platonicien par excellence, parce qu’il est le concept de désignation de « tout ce qui ne va pas », et à quoi la philosophie ne veut jamais trouver de réponse positive -au sens de donner une description et une définition du Mal aussi sophistiquée qu’elle le fit avec le Bien-. La philosophie ayant dès son origine irréalisé, spectralisé la facticité du Mal (de l’horreur, de la souffrance inutile amenés par la seule clôture anthropologique), elle nomme pour finir « nihilisme » cette irréalité achevée (qui est justement tout ce qu’il y a de plus réel, de plus original dans ce qu’a amené l’humanité sur terre par rapport à l’animalité : la technologie).
Ironie : On examine dans cette séance, en acceptant, par provision stratégique, comme pour jouer, l’hypothèse du « nihilisme », la forme phénoménologico-sociologique principale que prend ce dernier, et qui est : l’ironie obligatoire, le second degré généralisé, la parodie omniprésente. On parcourt quelques-uns des concepts diagnostics qui ont servi à qualifier cette modernité : spectacle (Debord), postmodernité (Lyotard), « simulacre ». On s’aperçoit que, sous ses dehors à point nommé « nihilistes », cette époque n’est peut-être pas-si-nihiliste que ça, et que cette vogue de la postmodernité parodique, qui succède à l’âge romantique puis à l’âge avant-gardiste –la postmodernité, à bien des égards, c’est une parodie de l’avant-gardisme-, n’est peut-être pas si idiote qu’il n’y paraît. Bien sûr, elle reste prisonnière de cela dont elle veut se débarrasser en le parodiant : l’héroïsme emphatique des romantiques, ou de l’avant-garde. Mais ce qu’elle attaque, précisément, dans ces configurations, c’est le platonisme latent (c’est encore plus vrai de l’avant-garde que du romantisme). On démontrera bien sûr, en passant, que notre « postmodernité nihiliste » reste prisonnière du platonisme, puisqu’elle joue le jeu de la parodie contre l’original, du second degré contre le premier, etc. : elle joue un jeu sarcastique contre le platonisme inconscient de la modernité (surtout artistique et politique), mais reste encore complice de ce dernier, en considérant que la copie, la parodie, l’imitation… sont toujours des dégradations de cela qui est imité, parodié, copié. C’est dans la séance suivante qu’on indiquera les pistes du « grand renversement ».
3 juillet 2014