Montée des eaux (2)
Chapitre 7 : dans lequel il est question d’eaux apparues et disparues
(Zouave du Pont de l’Alma, niveau 1)
Il n’y a pas que 1910 à Paris, et les célèbres encoches noires sur des murs de monuments, à hauteur d’yeux : la montée des eaux a eu lieu et aura lieu partout là où l’eau semble couler paisiblement en donnant une fausse idée de la constance des jours. À une époque où le moindre nuage devient suspect, parce qu’il arrive trop tôt, ou trop tard, ou trop vite, ou trop noir, et fait la preuve du dérèglement général, il est utile (divertissant) de s’interroger sur les diverses formes de noyade : sur les déluges en général.
(Zouave, niveau 2)
D’autant que (et voilà comment les sujets se nourrissent les uns les autres), l’eau montante de la Seine, de la Marne, de la Garonne, du Gange, du fleuve de Babylone, est bien souvent une menace directe pour nos archives. On a vu flotter de-ci, de-là, des imprimés irrécupérables, on verra peut-être un jour des rivières en crue charrier des milliers de disques, sur des kilomètres, disques contenant la mémoire de tous les journaux télévisés depuis l’éclatement de l’ortf – à briller ainsi au fil de l’eau, à refléter le soleil, à enchanter les pêcheur sur la rive, ils se prendront pour des harengs.
(Zouave, niveau 3)
Il est amusant de penser que l’une ou l’autre de ces archives naufragées évoquent, sur des pages et des pages, ou sur des kilomètres de film, des histoires de Grandes Crues Centenaires.
(Disparition des eaux)
Pendant ce temps-là (tandis qu’on s’intéresse à l’eau quand elle déborde, l’eau sous les espèces de l’abondance), d’autres se passionnent pour les épiphanies (si on ose dire) de sa disparition – la Bièvre, par exemple, qui n’aurait jamais dû fonder son étymologie vraie ou fausse sur le castor (castor fiber fiber) : elle a disparu un peu après lui, ou en même temps, et pour les mêmes raisons ou presque (tout se tenant, l’univers étant bouclé sur lui-même, les raisons de chaque chose sont valables pour toutes).
(Extrait de : Traversée de Paris à la nage, 1931)
Il faut soulever maintenant des plaques d’égout pour retrouver la Bièvre, et encore, pas bien vaillante : l’idée de rivière s’ajoute à la rivière concrète pour nous abreuver un tant soit peu. Les autorités (si on en croit les enthousiastes promoteurs du Festival de l’Oh, festival aquatique et ruisselant des bords de Marne), les autorités tout autour de Paris se livrent à de longs débats (disputatio) au cours desquelles on se demande si cette Bièvre affligée est définitivement un égout (cloaca minima minima) ou bien encore une masse d’eau – en attendant le jour où elle redeviendra, à l’air libre, pur éclaboussement.
Dans les archives de l’Institut National de l’Audiovisuel, un peu de cette Bièvre continue de couler, du moins sur une ancienne pellicule, maintenant consultable, à la demande. Qui souhaite voir un peu de cette eau confuse devra creuser sur quelques centimètres, ou bien s’adresser à l’Institut National de l’Audiovisuel.