Nouvel an chinois (Extrait 2)


Nouvel an chinois (Ed. Zulma)

(nouveau roman de Koffi Kwahulé, à paraître en mars 2015 aux éditions Zulma), extrait 2.



Et il réapparut, un mois de février, en plein Nouvel an chinois. En légionnaire. Les sourcils en bataille et le regard plus fou que jamais. Les jours qui suivirent son retour, le fils Demontfaucon resta cloîtré chez lui. Volets clos.

Sept semaines plus tard, en pleine nuit, la lumière zébra les persiennes de l’une des fenêtres du troisième étage du 3 de la cité Popincourt. Les rideaux furent tirés, les volets ouverts et la silhouette de Demontfaucon, loden rouge et chapeau tyrolien carmin élimés, s’avança dans le cadre de la fenêtre comme poussé au-devant de quelque mission par le Nabucco de Verdi qui enflait derrière lui. Ceux qui les premiers assistèrent à cette apparition diront plus tard C’était comme au théâtre, ou à l’opéra, du moins ce qu’on imagine être l’opéra. Le Nabucco enflait et lui restait là, les mains jointes appuyées contre le menton, la tête légèrement inclinée, à murmurer Dieu sait quoi les yeux clos. Peut-être une prière. Peut-être tout simplement les mots que faisaient courir la soprano et la mezzo soprano le long du vol des violons. Inspiré.

Bientôt la musique attira les premiers badauds. Lorsqu’il sentit que sous la fenêtre l’assistance avait grossi, Demontfaucon ouvrit les yeux en même temps que les bras, soudain. Puis l’index prenant à témoin le Ciel, il posa un regard de feu sur l’attroupement de curieux et tonna avec véhémence Effatah ! Je ne me tiens pas devant vous en mon nom propre, mais au nom de l’Ange qui porte sur le front une croix de feu. Et je ne suis pas ici pour vous convaincre, mais parce que la fille aînée de l’Église a fait de moi l’Annonciateur. Car j’ai vu des choses. J’ai vu l’Élysée ahanant dans l’étreinte du Dragon ancien ; j’ai vu l’Élysée coiffé de sept minarets dont les pics se perdaient dans un firmament aveuglé par leurs brasiers. Et du pic le plus haut des sept minarets, celui que l’on voit de n’importe quel endroit de la terre de France, j’ai vu le Dragon ancien, au regard mauvais, à la langue mauvaise, au souffle mauvais leur hurler de laver, jusqu’à la dernière goutte de sang, la figure de Dieu de la souillure que nous sommes. Alors j’ai vu par centaines, par milliers, par millions, poignards, sabres et haches brandis. Et partout, dans toutes les villes de France, dans tous les villages de France, dans tous les hameaux de France, je les ai vus chevaucher le Dragon au sourire terrible pour donner la chasse aux hommes et aux femmes et aux enfants de France comme à de vulgaires ragondins. Et partout affleurent les germes de la dernière apocalypse. Ce n’est pas nous qui l’avons déclarée, cette guerre. Ce sont eux qui, les premiers, ont allumé le feu et tiré l’épée…

Ils ont tiré l’épée ! Ils ont tiré l’épée ! Ils ont tiré l’épée ! Il est donc normal qu’ils périssent tous par le fer, et par le feu ! Et ils périront ! Pour n’avoir pas respecté la France, vous périrez ! Moi, je vous le dis, de gré ou de force vous allez respecter la France !

Pendant près d’une heure Nosferatu martela, avec des gestes traversés de transe, cette seule phrase : Vous allez respecter la France !

La police appelée par les voisins pour tapage nocturne l’écouta un moment puis se retira en souriant, les mains dans les poches. Le quartier se dit alors Décidément ce Demontfaucon, la police l’a à la bonne ; déjà pour le meurtre de ses parents, elle avait fermé les yeux, et voilà que maintenant… Certains n’hésitèrent pas à conclure que soit il travaillait en sous-main pour la police (agent, espion, indic, mouchard), soit, pour des raisons obscures, il les tenait par les couilles, et qu’il était par conséquent inutile de se crever le cul à lui chercher des poux là où de toute façon les policiers n’oseraient jamais…


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Nouveau roman de Koffi Kwahulé, à paraître en mars 2015 aux éditions Zulma

27 février 2015
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