Présence de Gaston Puel

Gaston Puel est un insurgé : lui qui n’a cessé de claquer les portes qu’il avait un temps ouvertes, assuré de la vanité de toute « grandeur d’établissement », n’a jamais oublié, non, ce que Bousquet lui avait dit un jour sur le mode d’une injonction : « N’oubliez jamais, Puel, il n’y a pas de grands hommes » ; ce même Bousquet qui nous donne à méditer, dans Traduit du Silence, l’un des plus beaux paradoxes qui soient : « Un homme grand, c’est une vie manquée »…

La poésie n’aura jamais été autre chose pour Puel que la tension et l’épreuve d’une longue fidélité à soi-même, sans concession aucune aux formes d’enrégimentement que l’histoire littéraire ne cesse de faire miroiter aux yeux des apprentis ; et pour lui, né en 1924, ce fut d’abord le compagnonnage un temps avec les surréalistes, et l’amitié, entre autres, de Breton et de Char, et celle, qui ne s’est jamais démentie, de tant de peintres, Capdeville, Arp, Ernst et beaucoup d’autres qui l’ont aidé ou l’« aident à vivre », comme il l’écrit, lui qui, par ailleurs, fut conduit au début par une même inquiétude de peintre et de poète.

Au contraire, l’essentiel fut toujours de gagner sa liberté contre toutes les formes de modèles, ce qui suppose qu’il ait conduit le travail poétique à se plier à une forme d’errance : lignes de fuite de quelqu’un qui, selon la distinction de Deleuze, s’est volontiers comporté en « traître » sans qu’on puisse jamais le traiter de « tricheur »…
Voilà bien, déjà, quelque chose d’assez précieux…

(…) écrire comme on erre dans une ville étrangère, seul, perdu, exilé, empêtré dans une langue d’emprunt, préoccupé de son corps, de son temps, de son argent, l’œil sur le plan, l’autre à la rue où se joue le quotidien qui vous échappe, écrire comme on vit dans son pays, en son terroir, l’œil aiguisé, refusant l’usure des choses familières jusqu’à ce que le quotidien vous empoigne comme une aurore.

Un petit livre, paru récemment aux Éditions des Vanneaux dans la collection « Présence de la poésie », est donc consacré à Gaston Puel, suivant un modèle assez proche de l’ancienne collection des Poètes d’aujourd’hui chez Seghers, avec une introduction, d’orientation universitaire, d’Eric Dazzan [1], comportant notes et références, et qui éclaire la genèse et le chemin de cette œuvre. Suit en une seconde partie, une « anthologie », précédée d’un portfolio, et suivie d’éléments bibliographiques.

On n’oubliera pas, parmi les activités du poète Gaston Puel, celle, consubstantielle, d’éditeur de poésie et de livres d’artistes.
Il le fut à plusieurs reprises et, en particulier, pour la plus célèbre de ses maisons, La Fenêtre ardente, fondée en 1961, laquelle, sur une vingtaine d’années, de Raoul Ubac à Miró, de Char, Guillevic à Frénaud, réunit un grand nombre des poètes et artistes de cette génération.

Je rends la parole à Gaston Puel, le temps d’un poème dont l’exigence ombrageuse lui ressemble tant, mais à la conclusion duquel tous ses livres [2], et celui-ci en particulier, apportent un démenti :

Pacte

Là-bas sur les remparts ruisselle la foudre
Ici autour de nos vivres l’âme suffoque
Partir ? Ici aussi la mâture chancelle

Mon pacte est un roncier
Je suis balafre
(le vent la ravive ou l’apaise)

Ainsi j’ai signé
La donation est ouverte :

La sang des mûres aux oiseaux
Le mien à l’oubli

Jean-Marie Barnaud

2 avril 2009
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[1Eric Dazzan dirige par ailleurs, avec Josette Ségura, les Éditions de L’arrière-pays.

[2Signalons, parmi les dernières publications de Puel, les livres parus aux éditions de L’Arrière Pays, en particulier ses Carnets de Veilhe (il y en a IV) et L’âme errante & ses attaches.