Reflets de paille
(La souris traque l’image.)
En descendant de la gare de l’Est, ce magasin se dresse comme un bastion d’autrefois. La surface de sa vitrine permet d’exposer toute une panoplie de guerre, de chasse, de self-défense, d’arts martiaux et les accessoires nécessaires à la satisfaction d’un certain nombre des pulsions souvent cachées du citoyen : menottes, bombes lacrymogènes, matraques télescopiques, pistolets, revolvers, fusils automatiques de différents calibres.
On peut même acheter l’uniforme complet type GIGN ou, plus modestement, des porte-cartes en cuir à deux rabats (comme dans les séries policières américaines), une face avec l’habilitation imprimée « maître-chien » barrée de tricolore, l’autre présentant un médaillon en relief et doré.
Tous les goûts sont dans la nature et, ici, dans la ville : armes de poing ou d’épaule, poignards ou nunchakus. Cependant, pour plus de discrétion, on choisira de préférence le tir à l’arc (et l’enseignement d’Eugen Herrigel) ou le maniement de l’arbalète. Le choix de la cible est en principe laissé à l’appréciation de l’acheteur. La battue peut commencer. La paille rend immortel.
« Cette nuit-là, March eut un rêve intense. Elle rêva qu’elle entendait au-dehors un chant qu’elle ne pouvait comprendre, un chant qui rôdait autour de la maison, dans les prés et dans les ténèbres. Il émouvait tellement la jeune femme, qu’elle avait envie de pleurer. Elle sortit, et soudain elle sut que c’était le renard qui chantait. Il était tout jaune et brillant, comme du blé. Elle s’approcha de lui, mais il s’enfuit et cessa de chanter. Il semblait proche ; elle avait envie de le toucher. Elle étendit la main, mais brusquement il la mordit au poignet ; au même instant, comme elle reculait, le renard, en se retournant pour bondir loin d’elle, lui balaya la face de son panache ; on eût dit que ce panache était en feu car il dessécha, brûla la bouche de March en provoquant une vive souffrance. La jeune femme s’éveilla en ressentant cette douleur, tremblante comme si elle avait été vraiment marquée au fer rouge. »
D.H. Lawrence, Le Renard (1928), Bibliothèque cosmopolite Stock, 1983, traduction Léo Dile.