Rome, regards

La pensée d’un écrivain au travail dans une ville qu’il découvre et décrit sans relâche.


D’octobre 1972 àjanvier 1973, Rolf Dieter Brinkmann séjourna àRome, Villa Massimo, qui est àl’Allemagne ce que la Villa Médicis est àla France. Il y consigna en détails les impressions, notes, rencontres, promenades, lectures, émotions vécues durant son passage dans cette ville où les nombreux vestiges du passé ne viendront jamais atténuer sa solitude et ses difficultés às’adapter aux lieux.

« Nous sommes samedi soir, vers 9 heures àRome (…). Les voilàtous àse retrouver maintenant dans des pizzerias et des restaurants pour bavasser. Hurlements d’avions àréaction au-dessus du parc de la Villa Massimo rafraîchi par la brume, mon système nerveux est àvif, je martèle les touches au petit bonheur, ça devient plus inintelligible, oui, plus enchevêtré…  »

Il adresse de très longues lettres, quasi-quotidiennes, àsa compagne Maleen. Notant tout ce qui le traverse, il ne se montre pas forcément sous un bon jour. On le découvre ainsi souvent injuste, péremptoire, un rien misanthrope et très hâtif dans ses jugements artistiques ou littéraires. Mais cela correspond totalement àce qu’il espère véhiculer àtravers ces « regards  ». Ils veut les restituer de façon brute, qu’ils soient projetés sur ce qui l’entoure (rues, affiches, flâneurs) ou sur ce qui peut bouillir (colère, envie d’en découdre, de devenir incisif) àl’intérieur de lui-même. Regards libres, immédiats, sans concession. Personne n’est épargné. C’est l’une des forces – l’autre résidant dans l’écriture presque hallucinée qui jaillit par bribes – de cette somme (trois cahiers augmentés de collages, de plans, de photos) où la générosité finit toujours par l’emporter et qui nous arrive, en traduction, (grâce àMartine Rémon) avec trente-cinq ans de retard.

R.D. Brinkmann, né en Basse Saxe en 1940, fut proche des auteurs de la Beat Generation. C’est lui qui fit connaître Burroughs ou Giorno en Allemagne en les traduisant et en les publiant dès 1969 dans l’anthologie Acid.
Auteur d’un seul roman, La Lumière assombrit les feuilles (Gallimard, 1971), il s’adonna très vite àce qui le faisait vivre àcent àl’heure, tapant, notant, martelant de nombreuses pages par jour, mêlant le tout àses voyages et multiples déambulations menées également àtoute allure. Cet homme pressé oublia néanmoins un jour la présence des voitures autour de lui. C’est en voulant traverser une rue qu’il fut renversé, àLondres, le 23 avril 1975, « quelques jours après avoir lu ses poèmes au Cambridge Poetry Festival », comme le rappelle Thibaud de Ruyter dans une préface qui nous aide àentrer dans l’œuvre de celui qui tenait àl’époque, avec vigueur et régularité, ce qui s’apparentait déjààun blog.


Rolf Dieter Brinkmann : Rome, regards, éd. Quidam.

26 octobre 2008
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