Aître Sudète
Écrire d’Aître Sudète de Philippe Dollo qui vient de paraître aux éditions Sometimes qu’il s’agit d’un livre de photographies serait trop simple et trompeur : la photographie n’est qu’un moyen (mais quel moyen !) de mener enquête, tenter de laisser une trace quand presque plus aucune trace ne subsiste, dans les Sudètes, ces terres d’Europe centrale au destin tragique qui offrent au voyageur de passage des paysages qui ne laissent rien deviner de leur passé récent.
« Comment capturer l’absence ? Comment évoquer l’oubli volontaire ? Quelles traces peut-on encore trouver de ces régions fantômes ? Ou : comment photographier les fantômes dans ces régions-là ? »
Voici les questionnements que Philippe Dollo et son éditrice Charlotte Guy ont traduit dans ce livre, remarquable dans sa fabrication et dans sa construction : une errance parmi les images et les dates, les voix des témoins et des historiens, les images du photographe et ceux d’anonymes.
« Au bout des routes, de toute façon, il n’y a rien ou presque. Ici quelques pierres, cachées sous la mousse, à demi ensevelies dans la terre, là un mur portant les dernières moulures d’une fenêtre. Devenue chemin forestier, même la route semble vouloir éviter le lieu. »
Ce rien permet justement à l’imagination de « secréter ses propres images » (Jean Cayrol) pour nous permettre de percevoir la réalité quand les images implacables de l’Histoire ont fini par nous rendre insensibles. Pour cela, il faudra emprunter des chemins embroussaillés, détournés et parfois stoppés (et c’est aussi le principe du livre lui-même dont les renvois dans le cours du texte invitent à revenir en arrière sur des images demeurées jusque-là énigmatiques), mais ne serait-ce que tenter de les suivre fait ressurgir la mémoire des lieux, permet de l’arracher à l’oubli, seulement pour un instant.
« Constater une impuissance n’est pas reconnaître une défaite. Dans l’impuissance assumée se cache une résistance, le désir de continuer à penser, de rester debout, vivant. »
Ce constat, il se traduit superbement dans l’entrelacement, tout au long de l’ouvrage, sans que jamais l’une prenne le pas sur l’autre, d’une réflexion aiguë et d’une grande beauté formelle.