Tanguy Viel | L’idée souterraine qu’il n’y aurait bel et bien qu’une seule adolescence
PRÉSENTATION DE LA RÉSIDENCE
par Tanguy Viel
A tout dire aussi, au long de ces ateliers hebdomadaires, j’ai fini par avoir le sentiment de mener une sorte d’enquête presque anthropologique sur l’adolescence et par elle, en tant que moment vacillant, sur la constitution de soi comme sujet, en y interrogeant, avec insistance je crois, notre condition poétique : par là je veux dire, à la fois notre rapport tout perceptif et sensible au réel, à la fois les sinueuses voies d’accès à sa propre pensée, à sa vie intérieure, à ses intensités propres – toute chose dont l’écriture reste un vecteur puissant et privilégié, toute chose aussi que les conditions d’existence, sociales, économiques, culturelles viennent supposément voiler ou infléchir ou même, selon certains esprits condescendants, interdire.
Or c’est précisément cela que nous postulions et dont il nous semble que le second ouvrage ’Autour il y a les arbres et le ciel magnifique’ rend compte : que cette condition poétique, cette épaisseur d’âme, au fond, s’y révèle inconditionnelle et qu’il est non seulement possible mais établi qu’à Clichy comme au centre de Paris, on puisse vivre aussi intensément chaque nuance du ciel autant que son propre sentiment d’exister.
De là que faire aujourd’hui ce travail d’enquête dans un lycée du centre de Paris, c’est en quelque sorte venir vérifier cette hypothèse qui nous a portés et avec elle, l’idée souterraine qu’il n’y aurait bel et bien qu’une seule adolescence, comme Robert Antelme pouvait dire qu’il n’y a qu’une seule espèce humaine.
Venir désormais au lycée Lavoisier, dans le cinquième arrondissement de Paris, c’est une manière de boucler la boucle : après avoir réfléchi à l’inscription de soi depuis la marge et la périphérie, nous voudrions comme en miroir poser la question de son inscription depuis ce centre supposé.
Qu’on s’entende cependant : il ne s’agit pas de faire plier le réel à quelque espoir d’homogénéité, au risque effectif d’une torsion idéologique. Il s’agit encore moins de supposer une égalité rhétorique entre tous : selon les principaux critères socio-économiques ou selon ceux du ’capital culturel’, on peut difficilement imaginer plus grand écart qu’entre les lycéens d’Alfred-Nobel et ceux de Lavoisier. Mais c’est aussi cet écart maximum qui nous intéresse, pour y reposer encore et toujours les mêmes questions, y entendre leur dépliement dans cette même langue française, dût-elle utiliser ici, on peut le supposer, une palette plus large.
Mais c’est vrai qu’alors, imaginant les deux livres des deux lycées posés l’un à côté de l’autre, nous formons le secret espoir qu’au-delà ou en-deçà de leur efflorescence rhétorique, ils murmurent qu’ils sont bien venus puiser à la même nappe phréatique, celle d’une humanité dont nous rêverions qu’elle soit, quant à elle, une et infiniment partageable.