Tarkos, la lecture de Renaud Ego
Un extrait de POESIE-INFINIE-REALITE
in QUATORZE POETES anthologie critique & poétique PRETEXTE EDITEUR avril 2004
Renaud Ego, a récemment donné aux éditions Jean-Michel Place un essai sur Matthieu Messagier, L’Arpent du poème dépasse l’année lumière (2002)
A signaler également "Le parti-pris des situations", postface à l’édition Poésie Gallimard de Baltiques de Tomas Tranströmer (voir article de Laurent Margantin).
La surprise et l’entraînement que suscite la lecture ou l’audition de cette poésie, sa force hypnotique n’interdisent pas de l’inscrire dans un faisceau de généalogies dont elle croise les tensions, et ressuscite les effets. Sa combinatoire grammaticale et lexicale évoque les jeux de répétition et de permutation de Gertrude Stein ; son acharnement réitératif, son malaxage de mots réduits à une purée de sons, ses écarts vers les onomatopées poursuivent l’Ur sonate de Kurt Schwitters comme les pages les plus enragées des derniers cahiers d’Artaud. Sa logorrhée rappelle les tentatives de suspendre le contrôle de la pensée, comme le tenta le premier surréalisme, celui des tentatives d’automatisme ; elle évoque aussi les emballements de l’innommable beckettien, la physique verbale de l’insubordination recherchée par Michaux dans les drogues, la matérialité du texte envisagée comme un corps en mouvement par Guyotat, etc. L’agencement des plateaux littéraires qui constituent le substrat géopoétique de cette oeuvre n’entend pas lui dénier son originalité, mais l’inscrire dans cette histoire moderne qui, de loin en loin, a toujours eu la tentation de s’affranchir du sens donné des mots, de l’épuiser, de le pervertir par une vitesse d’élocution nouvelle, afin que « le proche ou concret rappel » du sens n’encombre plus le dire et lui permette d’atteindre, « musicalement » le monde.
Si elle ne prétend rien atteindre, la poésie de Christophe Tarkos s’énonce pourtant clairement comme une discipline spirituelle, un « text building » selon la définition très juste qu’en donne Christian Prigent. Elle vise à préparer une autre pensée, « la pensée difficile ».