Tube




Chapitre 3 : Dans lequel on parle de bison, de tube, de pharaon et d’archives.








Au commencement était le tube cathodique de Ferdinand Braun – ce n’est pas tout à fait vrai : au commencement, on trouve des mains négatives, et les bisons peints des grottes d’Altamira en Espagne (en remontant plus loin encore, on tomberait sur une sorte de néant plus ou moins vaste traversé par un premier flux, comme si l’univers lui-même prétendait passer pour un tube de Braun).

Les premières expériences de télévision dateraient des années 1930 : on ne sait trop quel spectre est apparu, bombé, aux yeux des témoins – et on ne sait rien du ravissement de ces témoins. La guerre, bien entendu, est venue compliquer des chronologies qui prévoyaient d’être simples : du coup, il a fallu attendre 1949 pour connaître en France la première diffusion officielle d’images, pour un public encore restreint, dispersé ici et là, mais sans doute attentif à un maigre programme : la télévision alors était la rareté même. N’empêche, on a vu pour la première fois une bouche s’animer contre une vitre, à la manière d’un poisson dans un bocal convexe, et commenter les actualités, en inventant du même coup le direct.

Ça n’a l’air de rien, inventer le direct, c’était un miracle discret, d’autant plus bouleversant, comme si une équipe de techniciens faisait adopter une nouvelle forme d’instant présent. (Le Robert Historique d’Alain Rey rappelle que direct était jadis un terme du droit féodal, qu’il a désigné le coup de poing, et s’oppose à différé depuis 1938 pour ce qui concerne les émissions de télévision : c’est ainsi désormais qu’il est possible d’envisager notre passé et notre présent.)

Une seule chaîne et peu de programme, en 1949, au moment de la création de la Radiodiffusion Télévision Française ; une deuxième chaîne juste avant que RTF devienne ORTF, en 1964 – enfin une troisième, deux ans avant qu’un président à tête fuselée comme celle d’un pharaon embaumé, Valéry Giscard, dit d’Estaing, descendant des Valois par les Bourbons, ou le contraire, amoureux des fauteuils Louis XV et des chaises à bâtons, mais aussi technocrate, donc soucieux d’offrir à la postérité le plus grand nombre de sigles possible, démantèle ce bel office pour donner naissance à TF1, A2, FR3, TDF, SFP, Radio France, et l’Institut National de l’Audiovisuel (nous y voilà), à qui revient entre autres la tâche de récupérer le fonds d’archives de l’ORTF.

5 novembre 2010
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