Un verre venu d’Iran

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Elle m’a dit : mardi dernier j’ai donné à Emmaüs un objet, un objet de rien, un objet sans valeur, un verre à pied que je gardais avec moi depuis trente ans.
Elle m’a dit : j’ai fait un très beau voyage récemment, et quand je suis revenue j’ai compris qu’il fallait faire du ménage dans ma tête, et du ménage chez moi aussi.
Elle m’a dit : ce verre, je l’avais emporté avec moi, dans ma valise, quand j’ai fui l’Iran en guerre, avec mon fils de deux ans. Je l’ai emporté parce qu’il était le souvenir d’un jour magique où je marchais dans la rue avec l’homme que j’aimais. Cet homme s’était arrêté devant une boutique pour me l’offrir. Pour boire le champagne tous les deux au bord de la mer, avait-il dit.
Partout où j’ai habité je l’ai gardé, ce verre, posé sur une étagère. Je l’ai serré contre moi, je l’ai rempli de larmes, j’ai donné un nom à chacune des étoiles qui y sont gravées, le nom de mes amis d’Iran assassinés, j’ai mis des fleurs dedans et quand elles étaient fanées, c’était comme le reflet de tout ce qui avait disparu de ma vie.
Et puis j’ai décidé de faire le vide, de me débarrasser de tout cela. Les souvenirs sont dans mon cœur, je n’ai plus besoin des objets.
Elle m’a dit : tu vois, il a été mis en vente un euro. Trente ans, tous ces souvenirs, toutes ces émotions, un euro… C’est bien comme ça. Un euro pour un verre offert par amour, en Iran, juste avant la guerre.

8 juillet 2013
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