Une cuillère en inox

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Cette cuillère, la même qu’à la cantine de l’internat. En la regardant me revient l’odeur des plats, haricots trop cuits, viande en sauce aux yeux ronds, l’odeur toujours la même quel que soit le menu. Le brouhaha qui monte et descend, phases d’excitation et de mastication. Les fourchettes qui raclent. Les couteaux qui font grincer les dents comme la craie sur le tableau. Les rires vite rabattus par la pionne de service, qui contrôle l’intensité émotive des internes.
Pas trop d’hystérie, on y veille, ça dérape vite cent vingt filles dans une cantine, cent vingt filles qui partagent le même dortoir, chacune dans un box avec des cloisons qui ne montent qu’à mi-hauteur, un petit rideau devant le lavabo. Des filles qui s’amusent à planquer serviettes et peignoirs de celles qui sont en train de prendre leur douche. Elles n’auront plus qu’à traverser, ruisselantes et nues sous les sarcasmes, le grand couloir de carrelage beige le long duquel s’alignent les moqueuses. Les plus pudiques s’enroulent dans le rideau de douche décroché à la va-vite. Les plus malines avancent fièrement, se laissent contempler sans rougir.
Cette cuillère et le goût de l’inox dans la bouche. Je ne mangeais rien ou presque, du pain, je pesais trente-huit kilos pour mes 15 ans, j’étais trop maigre et j’avais mauvaise mine.

23 mars 2013
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