Atelier /1

Un atelier d’écriture de deux heures par semaine, à destination des étudiants de Master, en particulier du Master de traduction littéraire, mais aussi des Masters de Didactique des langues et de Communication. Dans cet atelier, on se donne comme objectif de « débrider » la langue, de l’éloigner de son aspect académique et d’un certain français normé. On s’inspire de différents textes écrits mais aussi de poésie sonore, de cinéma documentaire, on s’interroge sur les différents registres de langage, sur le rythme de la phrase, sur la manière de la performer à voix haute. Le but étant surtout de partager un moment d’expérimentation et d’éveiller la curiosité à la littérature contemporaine chez ces jeunes femmes pleins d’élan créatif.
Elitza Gueorguieva


IRIS

Existe. Parle couramment français. L’été, sent le plastique de mauvaise facture. 

Petite, il fallait maîtriser le français parfaitement. Ne pas faire comme maman. A 7 ans, j’avais dit à ma maîtresse enceinte, toutes mes condoléances. Par politesse. Ça m’obsède toujours.

Maintenant, il faut bien parler roumain. Maintenant je dis făraș au lieu de prag. Ma mère pense que je m’essuie les pieds sur une balayette. Făraș, balayette, prag, paillasson. Note à moi-même : je ne suis pas parfaitement bilingue. Même si le paillasson ressemble à une balayette. Étonnée aussi que fire en roumain veuille dire les fils ou bien le caractère. Je dis de quelqu’un qu’il a des fils rationnels. Métaphore de marionnettiste. Le pire, c’est quand quelque chose est aux fesses du sac. En roumain, la fund ne veut pas dire au fond. Ou dire que je corrige les enfants de mes élèves. Je voulais dire les copies, pas les copii. Je rajoute des marques de pluriel à des mots français pour les roumaniser. Parfois, ça marche. D’autres, non. J’entends de travers dans les deux langues. Tout devient plus impressionnant. L’étudiant qui dit venir de Mayenne, en Bretagne. Moi, j’avais compris Mayotte, l’île. J’ai demandé si ça allait de ne plus vivre au soleil. Il n’a pas répondu. Il pleut beaucoup en Mayenne. 


INGRID 

Lire. A partir d’ailleurs. Je rentre chez moi.

La première phrase que j’ai essayé de dire en farsi a été man nemi fahmam. Pendant longtemps je n’ai pas réussi à la prononcer. Quand j’essayais, personne ne comprenait. Ma voix s’éteignait dans un silence embarrassé. Je regardais dans les yeux de mon professeur, il attendait ma réponse , mais il n’y avait que l’écho qui me revenait, femme en français se traduit donna en italien, je me répétais, je suis femme, en français. Je regardais mon professeur de farsi qui attendait toujours ma réponse. Je me disais, je suis bête. Je comprenais que dans ma phrase, devant le verbe, il y avait une négation qui défiait mon être femme. Pourtant en farsi il n’y a pas de genre. Man nemi fahmam. Ce que j’arrivais à prononcer s’est décomposé dans toutes les combinaisons de son que le mot permet. J’ai essayé de leur donner du sens. Je me suis appuyée sur les autres langues que je connais. Puis sur le goût de la langue, mmh, comme une enfant qui goûte pour la première fois à quelque chose qu’elle ne connaît pas. Ainsi j’ai trouvé, il s’agissait de prononcer le h plus sourd et doux, mi fahmam. J’ai réussi à me faire comprendre et à me sentir femme.


MARLÈNE

C’est dimanche pas de plombier, mais je sentais que cela allait m…˜arriver j’entendais des glouglous dans ma cuisine, bien entendu j’ai mis du Destop en vain, du coca rouge mais hélas quoi faire ce soir c’est l’anniversaire surprise de mon mari et j’attends vingt personnes à diner comment faire, laver la vaisselle dans la salle de bains, trop compliqué c’est loin de ma cuisine et je n’étais pas sûre que cela marche, la solution était de me faire livrer et avoir un anniversaire à peu près convenable personne ne s’est rendu compte de ma galère et tout s’est bien passé j…˜ai fait bonne mine alors qu’au fond de moi j’étais mal dans ma peau, cependant le lendemain, je me suis réveillée avec une sensation étrange car d’habitude l’immeuble est vivant et on entend le glouglou des voisins passer à travers les tuyaux car il faut vous dire qu’on a l’impression parfois que les cloisons sont en carton et que l’on vit chez le voisin et d’ailleurs j’ai parfois surpris des conversations secrètes qui m’ont beaucoup appris sur la vraie personnalité de mes voisins et ce matin, le silence qui régnait a provoqué en moi un certain malaise que j’ai fini par comprendre il n’y avait pas de bruit d’évacuation chez les voisins et comme nous n’étions pas en période de vacances c’est qu’il devait y avoir une autre raison peut-être y avait-il un incendie dans l’immeuble et j’étais restée toute seule et aucun voisin n’avait songé à me prévenir mais le problème était que je ne sentais ni le feu ni la fumée et au moment où je disais qu’il devait y avoir une autre raison on a sonné à la porte ce qui m’a fait sursauter car je n’attendais personne ce matin et pourtant on sonnait avec insistance tremblante je portai mon œil vers l’œilleton et reconnus mon voisin en robe de chambre dont le front était plissé et qui semblait mal à l’aise et j’ai eu l’intuition que je n’étais pas au bout de mes galères mais j’étais à mille lieues de m’imaginer ce qu’il allait me dire et prudemment j’ai entrebâillé la porte en laissant la chaîne accrochée afin qu’il ne me saute pas à la gorge et cependant sa voix était tremblante me disant n’avez-vous pas un problème avec l’eau alors j’ai compris que je n’étais pas la seule mais en même temps j’avais peur qu’il me reproche d’être responsable de problèmes d’évacuation tout en trouvant qu’à plusieurs, nous pourrions trouver une solution pour résoudre le problème, donc, timidement je lui ai avoué qui oui et je lui ai raconté ma soirée de la veille c’est à ce moment-là qu’un deuxième voisin en survêtement que je rencontrais parfois dans l’ascenseur sans jamais lui parler est arrivé sur le palier ce qui m’a fait tilter et intérieurement j’ai pensé que l’affaire prenait de plus grandes proportions puisqu’ils se retrouvaient tous sur mon palier et ils m’ont expliqué l’absence de glouglou dans tout l’immeuble plus de douche de bains, de cuisine, nous étions comme au Moyen Âge et il faillait intervenir d’urgence ce qui fait que nous avons décidé de faire appel au plombier de l’immeuble qui pour notre grande chance était dans la rue et a pu intervenir dans la minute je n’en pouvais plus de voir tout cet envahissement de voisins sur le palier d’autant plus que je ne pouvais pas leur proposer de l’eau heureusement le plombier a été efficace et a mis fin à nos angoisses quand après avoir rampé dans les canalisations il a découvert toute une famille de loirs qui y avaient élu domicile et se nourrissaient de nos déchets en buvant notre eau comme si c’était du bon vin et nous laissant sales et sans ressources ce qui fit que nous fûmes reconnaissant au plombier qui s’appelait Mario et il nous demanda si nous voulions adopter les loirs ce qui provoqua des réactions gênées et négatives et cependant grâce à ces animaux nous avons pu faire connaissance avec nos voisins et promis que nous nous retrouverions un après-midi pour boire de l’eau des robinets débouchés

8 mars 2024
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