Pierre Autin-Grenier / La poisse, Antoine Gallimard et la Française des Jeux texte inédit |
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Pierre Autin-Grenier poète, écrivain a publié des recueils de poèmes, des nouvelles et des récits. Les derniers livres sont parus à l'Arpenteur : Je ne suis pas un héros (1993) et Toute une vie bien ratée (1997). |
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aussi sur remue.net Pierre Autin-Grenier / Histoires secrètes (trois extraits) ainsi que Une entrecôte
drôlement politisée |
"A quoi bon ma vie immobile dans ce trou noir, je me
dis, quand partout alentour s'agitent des ingénieurs en aéronautique,
parcourent en tous sens la planète Messieurs les Administrateurs
des Iles Eparses et des experts assermentés près les tribunaux
expertisent tandis qu'ailleurs attaquent formidablement des banques des
bandits prodigieux ? Vrai, comment ne pas se demander ce que l'on est
venu faire là au milieu et d'où nous vient cette audace
de respirer le même air qu'eux ? Il est déjà fort tard dans la nuit quand sous le couvercle de ma boîte de camembert, je parviens à réduire tous ces gens importants en bouillie et ramener leurs prétentions au niveau des miennes ; alors, adieu plomberie existentielle ! Je glisse enfin vers le sommeil, tel un lézard sous la lune, lentement avançant sus ses petites pattes à la recherche de trèfles à quatre feuilles dans le gravier des cimetières." Pierre Autin-Grenier |
Pierre Autin-Grenier, une bibliographie JOURS ANCIENS HISTOIRES SECRÈTES LANGE AU GILET ROUGE LES RADIS BLEUS IMPRESSIONS DE LOZÈRE : LA MARGERIDE JE NE SUIS PAS UN HÉROS LÉGENDE DE ZAKHOR TOUTE UNE VIE BIEN RATÉE 13, QUAI DE LA PÉCHERESSE, 72000 LYON TOUTE UNE VIE BIEN RATÉE |
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Un beau matin, comme ça,
lui prend idée de voir une barque, bien proche du rivage. Innocent,
il se précipite aussitôt sur la place du village. Vendredi,
jour du marché aux poissons. À tous il dit : Voilà
quune barque arrive ! Voilà quune barque arrive !
Stupéfaction dabord. Panique. Un étranger, ignorant
la superstition, demande pourquoi toute cette agitation. Une barque
est arrivée ! lui crie-t-on, abandonnant là le quotidien
des choses pour courir à la plage dans lespoir dapercevoir
lapparition. Bientôt ils sont quinze cents ainsi à scruter
le fond du ciel. Des centaines de mains en visière sur ces fronts
ridés, loeil anxieux comme si, face au soleil, ils fixaient
leur sort. Mais seul le sable, et la mer, infiniment. De barque point semble-t-il. " Alors ?! interroge, furieux, un premier. Ta barque ?! encore plus féroce hurle un second. Montre-nous ce que tu vois ou tout cela nest que moqueries et mensonges ! Comme muet soudain, il tend le bras, doigt pointé, désignant au large les nuages, les vagues, lazur, rien. ( Que pourraient-ils voir dailleurs, tous, avec cet oeil vide quils ont au beau milieu du visage ?... ) . Alors le premier galet est lancé. Puis dautres, dautres encore. À ce jeu dérisoire les plus lâches en effet, en quelques secondes senhardissent. Les voici, ne faisant quun, acharnés sur lui tels chiens ayant goûté au sang. Cest toujours un homme seul et cerné celui qui regarde quelque chose, là-bas où personne naperçoit rien. Ils labandonneront ainsi, le soir venu. On dirait que déjà la mort lui a pris la moitié du crâne et tout son courage avec. Pourtant le lendemain, dès laube, fort de ce quil sait maintenant et défiant leur incrédulité : il part ! Dans la petite barque. Loin vers ces très belles îles sous le vent, où nous irons bientôt dormir ensemble. Histoires secrètes (autres extraits) |
LA POISSE, ANTOINE GALLIMARD ET LA FRANÇAISE DES JEUX © Pierre Autin-Grenier (inédit)
Ce matin, réveil pénible dun pharmacien à la retraite qui de sa vie naurait seulement braqué une banque. Cest à laube quon exécute les condamnés, je me dis, et pourquoi donc ne pas se pendre ? Me traînant sur les rotules jusquà la salle de bains, ma tête fait soudain dans le miroir éclipse de Lune dans une flaque deau. Tu as le teint terreux dun Robespierre au 10 Thermidor et le poil terne déjà saupoudré dune fine poussière dos, je constate un peu amer ; au fil des ans il a beaucoup plu sur la marchandise, forcément. Dun clic dinterrupteur jabandonne au néant cette vision guère poétique de la bestiole et regagne, pou claudicant, la cuisine pour faire réchauffer une casserole de café de la veille, croquer aussi un carré de chocolat ce qui remonte le moral des troupes comme je lai lu tantôt dans un magazine de diététique auquel ma femme sest abonnée dans le but de vivre le restant de léternité en bonne santé. Je casse deux oeufs dans une poêle à frire pendant que jy suis ; à vouloir se pendre, autant se pendre le ventre plein je pense. Et puis, comme ça, reviennent tous les petits gestes mécaniques qui, à force de sempiternellement se répéter, vous achèvent le bonhomme plus vite que cheval bancal à labattoir municipal. On tourne le bouton du poste et cest aussitôt une avalanche de catastrophes qui vous dégringole sur la coloquinte à vous glacer léchine deffroi. La guerre éclate en Balkhyrie ; au nord de Kiev, dans la nuit, le sarcophage de la centrale nucléaire de Tchernobyl vient de tomber en poussière ; le cours du concombre sest littéralement effondré dès louverture ce matin à la Bourse de Chicago. Alors je me dis que des banquiers, là-bas, peut-être sont encore plus malheureux que moi, ici, en ce moment et, en plus dun sentiment de compassion, jéprouve une certaine honte en pensant à mon projet de pendaison. Allez savoir aussi, avec ces infernales fluctuations des marchés financiers, où sen trouve la cote de la cravate de chanvre au jour daujourdhui? Cest ce souvenir têtu et lancinant qui me fouaillait la zone sous-corticale du cerveau alors que je menfonçais dans les bas quartiers de la ville, désemparé tel le pharmacien de Figueiras ne cherchant absolument rien et seulement préoccupé par lidée den finir au pus vite avec cette existence de traîne-misère du porte-plume et ses 6% lan de droits dauteur hors taxe. Que ne suis-je, resté, jeune homme, dans les assurances où jétais alors à deux doigts dêtre nommé responsable du service sinistres avec appointements et primes y afférents ? Tu aurais aujourdhui, je me dis, usé déjà plusieurs Bugattis, occuperais une de ces résidences bourgeoises du boulevard des Belges ; de jeunes enfants lisses et proprets en dégringoleraient le grand escalier, riant aux éclats comme cathédrales en plein soleil ; peut-être liraient-ils, le soir avant de sendormir dans des draps frais, quelques pages de Philippe Delerm. Mais la vie est ainsi quen tout on ne décide de rien, bonheur ou infortune vous tombent sur le paletot comme deux-mêmes, lusure et lâge font le reste. Cest en ressassant sans cesse dans mon esprit ces sombres pensées et aussi le souvenir de mon pendu que je poussai en somnambule la porte du premier estaminet venu et maccoudai au zinc. Moi et mes petits 6% on venait de décider, tout de go, de se payer quand même un double café calva et denvisager plus à fond la situation. Lendroit était borgne et peu fréquenté à cette heure indécise de la matinée, cétait le lieux dexil parfait pour se laisser aller à une profonde et sérieuse rêverie. Pourquoi étais-je si impatient de vivre et fringant comme chien fou à lépoque des sunlights et des planches où, en compagnie de Vivier et Wetterwald, je battais le bocage de Trouville à Granville, de Coutances à Falaise, retroussant le coeur des midinettes et déchaînant hourras et bravos lorsque nous attaquions So far away from Montana au rythme enjoué de Christian Belhomme au piano mouillé ? Au Théâtre de la Presquîle nous avions pris pour habitude de briser chaque soir quelques bouteilles de bordeaux sur le pavé devant lentrée, cette fantaisie ayant pour effet, nous lavions ainsi décidé dans notre délire, de placer le spectrale sous les plus favorables auspices et den faire un véritable feu dartifice. Entrain et jeunesse, notre fougueux talent aussi, pourtant suffisaient ; un grain de franche gaieté ne nous semblait toutefois superflu mais plutôt bien utile pour passer la rampe et assurer sous les ovations le triomphe de la soirée. Cette gaieté qui seule préserve des pesanteurs intempestives du temps qui passe, empêche de pleurnicher et rend fort et léger. Aujourdhui, finie la comédie et toute gaieté en allée, cest à la mélancolie que mentraîne ma rêverie et je me demande par quelle naïveté jen suis arrivé à malaxer maintenant des mots dans le vain espoir de trouver un sens à lexistence. Divaguant ça et là sans but dune ruelle une traboule, je me dis tout en marchant que le pendu de mon enfance ne se tourneboule plus la cervelle depuis bien des lunes avec semblables balivernes et que son collier de chanvre vaut bien mon collier de misère. Ton éditeur aussi, vois-tu, (Monsieur Antoine), ne sembarrasse de tracassins ni tourments de linfini qui, loin de la grisaille de Paris, se prélasse dans des palaces perdus au milieu dîles enchantées que tu nas, toi, jamais vues même en bandes dessinées. A quoi bon tous ces efforts pour lui fournir cette littérature pourtant très dégagée derrière les oreilles si ton petit pourcentage suffit à peine à payer ta corde ? Non, il eût mieux valu, dès le début, se faire accordeur de pianos chez Gert Jonke ou se livrer alors avec frénésie à lélevage intensif du ragondin et, la prochaine fois, je crois bien que jattendrai quil me pousse un troisième bras pour me mettre enfin au turbin. Voilà où jen étais de mes réflexions fortement frappées au coin du bon sens quand je pris conscience que davoir déambulé, comme ça, toute la sainte journée au long des trottoirs à touiller dans ma tête cette purée didées noires avait fini, petit petit, par faire sérieusement baisser le jour de plusieurs crans. Je navais toujours pas braqué de banque ni ne métais seulement pendu que le soir déjà était venu. Comme me tira loeil sur le devant dune boutique la carotte dun tabac, par déformation de fumeur professionnel machinalement jentrai. Je me payai le luxe dun beau Montecristo n° 4 ( les préférés du Che ! ) et là, allez savoir pourquoi!, sur la lancée cochai sans même y réfléchir six numéros sur une grille de loto. Tu viens en somme, mon vieux, de remettre ta destinée entre les mains de la Française des Jeux et tes projets de pendaison à la courte-paille daprès-demain, cest certain! Ragaillardi par cette toute nouvelle perspective davenir je regagnai le logis, et hop! allons-y ; bien résolu une fois de plus à dire à la corde et à la poutre que, tant pis, mais, pour aujourdhui encore, mourir savère décidément trop fatigant. Extrait de LÉternité est inutile (à paraître) |