Benoît Conort / rapsodie de rhapsodie

une première version de ce texte est parue dans "poésie 2001", N° 90,décembre 2001, dans un dossier intitulé Poètes en tous genres, et constitue le chapitre terminal de Ecrire dans le noir, Champ Vallon, janvier 2006

son précédent livre Cette vie est la nôtre (rhapsodie) est paru chez Champ Vallon

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par un défaut de langue
et envers de prose

Benoît Conort, écrivain, enseigne le français langue étrangère à l'université Paris X. Il est membre du comité de rédaction de la revue Nouveau Recueil. Il fait partie avec Claude Ber, Jean-Michel Maulpoix, Laurent Flieder, François Bon et Patrick Souchon de l'équipe fondatrice de Carrefour des écritures.

 

 

 

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à Patrick Souchon

 

 

 

on avance on avance place tien an men tu la voyais pas comme ça l’histoire jogging du dimanche autour de la cité interdite
la langue à l’œuvre on avance on mélange
à l’amertume la mélancolie dans une chanson la nostalgie comme l’opium gangrène la nostalgie n’est plus
une radio on l’écoute vingt ans déjà vingt ans après ce n’est pas de la nostalgie la rapsodie même si ça rime avec vieux genre ressuscité genre ancien même si tout ça lié
si elle injuste parodie l’épopée hector ulysse en particulier un peu ridicule dans sa grandiloquence armée médiocre tricheur – pas hector si beau en cadavre homérique héroïque - mais ulysse
la tromperie en modèle sa jactance on appelle ça la ruse et c’est très bien côté du côté de la rhétorique
ce que le rapsode veut c’est crier c’est comme glissant glisser
du cri antillais à la parole nue relater la colère et parler d’eux de tous ceux-là qui l’entourent en leur cité close leur parler votre vie est une rapsodie
partageable entre tous ceci est mon roman et cette vie aussi insensé qui crois que je ne suis pas toi est la nôtre puzzle
de vers de prose en versets précipitée
avec des phrases mal fichues je viens ici connaissant la vie et de la mort ce qu’un vivant pourrait des deux
savoir juger cette longue querelle du vers et de la prose de la douleur et de l’espérance avec parfois de la romance empruntée à l’espagnol et qui désigne un bref poème épique en octosyllabes ses vers pairs sont assonancés c’est ainsi que la rapsodie va
de la romance au roman courtois récit galant irréaliste les espagnols poussant la romance rejoignent ceux du nord et tombent en don quichotte
le rapsode n’est pas l’homme d’une cité plutôt celui qui a droit de citer
les autres où sont-ils qu’on vienne à eux les autres dehors et nous dedans on les regarde comme
derrière une vitre le réel menaçant le réel mène au sang quotidien la misère et la nôtre
cet effroi d’enfant sur le siège arrière de la voiture elle trouait la nuit
tu vois on danse le corps on le balance pour pas tout seul dormir on avance
les citations comparaissent elles se heurtent collage non mais tissage d’une histoire d’aujourd’hui vaguement racontée avec de l’invention
empruntée au latin classique inventio action de trouver de découvrir découverte faculté d’invention et terme de rhétorique en latin chrétien inventio sanctae crucis (v 530) désignait la fête rappelant la découverte par hélène mère d’empereur prostituée et femme offerte au désir mage de la croix du christ et adinventio signifiait trouvaille dans la façon d’agir et péjorativement expédient ruse toutes choses applicables à la rapsodie
l’invention donc d’histoires en romans d’enfance
é coutez la romance écoutez
la chanson bien douce qui ne pleure que pour vous plaire chanson des rues et des bois vieille chanson du jeune temps romance sans parole de la plus haute tour à bouche close vibrent les lèvres un bruissement d’enfant tout entier
au bruissement qu’il fait à sa faim et sa soif
on avance on n’a pas assez de sens pour faire la phrase dans l’autre sens ou à pieds dans la beauce peguy sue depuis bientôt un siècle en quête d’un pas vers le ciel lui aussi voulait aimer pourtant
on avance on ne sait pas vers quoi peut-être vers le bout de la ligne avant qu’elle ne brise et navette revienne au début maladroit rapiéçage
quand elle revient on s’interroge en ces temps de bûchers bovins de fièvre ovine en vertu du principe de précaution on canalise les catastrophes provoquées on rentre dans la rime ces bouts désordonnés
ces chiens versés noirs ils sont cerbères à l’entrée des enfers romantisme attardé
quelle épopée offrir aux zep si taguées wait for the ricochet disait une voix
dans le noir de la chambre quand passait child in time l’on jouait la nuit
l’amour aux cartes on le jouait suivant que gagnait ou non
la réussite aux cartes vieillard grincheux on passera ses matinées à la patience en grommelant sur la toile cirée de la salle à manger pendant qu’une moins vieille s’activera dans la cuisine
tout nettoyer les vieux cuivres obus de 14 ou les trompettes de l’harmonie municipale
le savait-elle que l’on jouait ainsi la vie à pile ou face la rapsodie mêle tout absout tout dans le rythme
ce monde est glauque comme un venant pleurer d’avoir bien réussi les cadors on les retrouve aux belles places nickel devant le troupeau bêlant pas vraiment de l’ordre de
la rapsodie inconnue des équations de benjamin péret c’est là son intérêt
brise toutes les conventions verse vers le vers mal édicté de la diction bégaye la romance d’une infinité de destins
versés après changés comme le sang
en vin
ce noir désir quand reviendra l’automne le vent l’emportera la saison monotone et le roman en langue vulgaire
l’ivre dive bouteille des mots pas bien gelés ils fondent au feu de ces messieurs
on les dit grands bon appétit messieurs
est-ce bien d’ailleurs une rapsodie en avançant on se dit qu’on est en train d’écrire
une satire en latin satura macédoine de légumes pièce de genres mélangés avec la mayonnaise un peu tournée qui pèse sur l’estomac pas loin de la rapsodie en somme
sorte de farce morale et raillerie à la fois quelque chose qui ressemble à du brassé du réchauffé du pas tout à fait
fait avec des dérapages des zigzags encore une fois
doué pour les ratées le rapsode ne sait que déraper au lieu de chanter à la fin de l’envoi
il coule dans le marécage on l’enferme pas besoin de cadenas
poète ci-gît cœur sans cœur mal planté trop réussi comme raté n’a rien compris à la reproduction clone il tourne mal
jouant habilement des codes le contumace renonce à les aimer trop machinalement ajustés
il aime le grain de sable ce qui merdre soudain et pas dans un système et quand ça saute en l’air sous le ciel de baudelaire
when i’m sixty four 6 et 4 ça fait dix revient à 1 en numérologie le chiffre non-identitaire du rapsode lié au zéro de quoi
peut-être l’émotion l’étonnante corrélation un peu obscure perdue dans les méandres de l’inconscient freudien
on ne boit pas pour que monte le courage on boit pour que tombent les barrières pour laisser parler la langue de soi morte
la seule vraie primitive véritable saillie de l’esprit balbutiant
roman où rien n’est vrai on s’invente des vies elles deviennent réelles rapsodies où n’est que chant et parole mal assurée qui s’engendre et se grise
de toutes ses histoires
elle prend le contre-pied casse l’image
du poète policé au miroir flatteur il rit de se voir
quelle histoire si belle où est le désir et cette femme offerte dans l’échange qu’en faire quand
elle jouit d’être sur la photo on voit
que le sexe demeure insatisfait et quelle satisfaction donnera la réponse
apaiser le désir et l’éponger l’adoucir dans le frisson et partagé le baiser
mais lui où en est-il de son programme parti au fond d’un verre de ti-punch deux heures anse à la gourde il n’a jamais vu de lamantins
à petit canal là où débarquaient les esclaves il y a une décharge publique
on y revient la rapsodie est maladroite mal romancée elle aime rompre la musique la torpeur mélancolique
l’héritage de saturne et les humeurs noires en lignes si brisées
ç a soulage soudain de franchir délibérément toutes les lignes blanches autrefois jaunes de taper tous les arbres d’échouer dans tous les fossés de sombrer dans tous les atlantiques et rire
ç a soulage d’être enfin dehors d’avoir cédé et succombé de renoncer s’abandonner à tous les démons de midi et de minuit c’est ça la rapsodie le pardon absolu radical
le titanic s’enfonce couler avec dans la mer froide enfin sombrer s’abandonner comme d’autres le font au plaisir s’abandonner
renoncer à croire à ne pas croire n’être qu’un prenant parole hurlant de toute la force de ces millénaires de chaos hurlant d’avoir été esclave d’avoir été le maître hurlant d’avoir toujours tué été tué d’avoir toujours imité d’avoir appris les règles et de les avoir oubliées d’avoir rêvé les femmes et de les avoir méprisées de les avoir voilées et de les avoir violées
enfant hurlant d’être pris dans cette vie que l’on avait choisie pourtant
c’est facile mourir dans le ventre de sa mère et on n’avait pas voulu aujourd’hui on est bien obligé de continuer à faire comme si
le cœur y était quand il n’y est plus l’infarctus guette
toujours quelque chose guette le diabète le sida la peste ou la grippe asiatique toujours quelque chose cède dans le corps quand la fatigue est trop grande
happiness is a warm gun elle est si froide en vérité à qui réchauffer larme sinon la colère et c’est encore la rapsodie
une colère énorme une insupportable atroce colère qui étrangle dévore de l’intérieur qu’on sait plus où donner de la tête c’est ça la rapsodie 2001
l’odyssée de la colère injuste féroce impitoyable le chant des opprimés puisque l’internationale n’est plus le chant de tous les refusés les chants de la douleur ne sont pas toujours les plus beaux contrairement à ce que prétendait l’alfred en se saoulant tristement
il devait bien avoir lui aussi quelque colère rentrée ou à rentrer bon dieu ce qu’on peut à vingt ans
se raconter d’histoires et dans la rapsodie on psalmodie le chant errant de nos erreurs quand on regarde
sous les gravats toutes ces ombres perdent nom englouties par la bouche d’égoût sur le trottoir les ombres lèvent des corps parmi les blocs échus du désastre rejoignent d’autres ombres plus anciennes mêlent leurs cris silence
on se frotte on se serre on court on va on appelle
l’usure le temps qui nous dévore saturne n’a jamais baissé la garde comment pourrions-nous vaincre
ne sommes dieu ni démon nous seulement cet amas ridicule et grotesque de chairs enchevêtrées dans le rictus corps d’agonie sommes combat toujours mené
malgré les manipulations malgré ceux qui savent et ceux qui décident et ceux qui gagnent tous cherchons le pouvoir d’avoir du pouvoir de gagner du pouvoir d’exercer le pouvoir de conserver le pouvoir
se refusant se donnant c’est tout un de pouvoir
asseoir son pouvoir asseoir ces phrases anormées ces diagnostics en langue obscure et définitive ces promesses sans lendemain et ces lendemains qui n’appartiennent qu’à autrui
remettez-nous votre pouvoir et nous leur remettons notre pouvoir nous y renonçons pour l’amour de quoi cette compassion
revienne le temps des révolutions la rapsodie refuse de convenir refuse de se soumettre refuse d’acquiescer refuse de consentir refuse de dire oui
aimer pourtant
volonté passionnée d’une négation on voudrait tant croire que le pire n’est pas certain on voudrait tant ce soir il fait nuit sur new york en d’autres lieux aussi de chine à palestine
et on tape sa tête contre un mur ou contre une pierre une fois de plus on perd une fois de plus on additionne on soustrait c’est pareil dans le désespoir (point sur point) on échoue désastres répétés
aimer pourtant aller plus haut mais comment
par le servage des filles dites de joie pour une fois et plus jamais
je vous aime femme venue de l’épeire vous près de lui étendue
dans vos larmes il voit
grossissement d’une larme loupe elle-même
l’amour pleure son esseulement si seulement ces mots
venaient à vous à la manière d’un battement d’ailes lui rapsode demande le droit d’asile demande qu’on voie
par les trous d’un manteau danser les galaxies et demande
le droit d’être vivant j’y suis j’y suis toujours
vivant ce qu’on peut à vingt ans
se raconter d’histoires benoît conort